Survie

Mongo Beti : celui qu’on ne pouvait pas faire taire

Publié le 4 octobre 2002 (rédigé le 4 octobre 2002) - François-Xavier Verschave, Sharon Courtoux

Il y a bientôt 25 ans paraissait le premier numéro de Peuples noirs, Peuples africains (PNPA), qui prévient qu’il "tonnera, hurlera, rugira, barrira s’il le faut, pourvu que notre silence se rompe…". C’est, une quinzaine d’années durant, ce que fera cette publication. Elle a cessé de paraître en 1991, faute de moyens financiers … En réalité victime du dédain que le silence arrange ; de ce silence qui convient aux "compères parmi les chefs d’Etat de l’Afrique noire cornaqués par Paris", et aux complices du système que ces derniers symbolisent.

Le directeur de PNPA, un certain Mongo Beti, n’a pas attendu d’avoir fondé une revue pour tonner, hurler, rugir, barrir. Jusqu’à son dernier jour, il n’a cessé de dire ce que nous devons entendre, dans tous les sens du terme.

C’est sur la 4ème de couverture du n° 1 de la revue (paru en janvier 1978, alors que l’Afrique du Sud vit sous le régime d’apartheid) que l’on trouve les lignes citées ci-dessus, et celles qui suivent : "C’est notre mutisme poltron qui procure l’arrogance et assure l’impunité aux roitelets nègres Bongo, Mobutu, Bokassa, Ahidjo, Houphouët-Boigny, tous chefs d’Etat francophones, zélé compagnons de route de Balthazar Vorster, le boucher de Soweto". L’auteur de ces lignes s’adressait aux "Noirs francophones progressistes [dont le silence], quelle que soit notre excuse, quelque violence que nous subissions nous-mêmes, rassure, encourage, consolide l’apartheid". Il parlait aux siens.

Pour notre part, qui voulons faire concert avec cette voix incomparable en parlant aux "nôtres" - aux blancs francophones progressistes - ce sera pour leur dire, une fois encore, tout dépend de votre silence. C’est lui qui tue, qui pille, qui corrompt et qui ment.

Depuis 1978, des autocrates criminels et corrompus qui régnaient sur le continent noir ont disparu, d’autres ont surgi. Des gardiens de "l’intérêt national" français ont rejoint les coins sombres de l’histoire, d’autres ont pris la relève, pour cornaquer à l’aise dans l’espace que le silence leur réserve. Alexandre Biyidi-Awala, dit Mongo Beti, a accompagné cette succession d’acteurs qui se suivent et se ressemblent. Aucun de leurs forfaits n’a échappé à sa vigilance, à sa capacité de leur donner intelligence. Peu nombreux furent ceux, ici, à l’avoir accompagné, à avoir emprunté la voie du courage et de la vérité. Que pourrions nous de mieux, pour honorer sa mémoire, que demeurer sur le chemin qu’il a tracé, y appeler en renfort tous ceux qui renonceront au mutisme ? Sans doute suffirait-il que son œuvre soit lue par un large public pour que des yeux se dessillent, pour que des baillons tombent. Nous nous efforcerons qu’il en soit ainsi.

Des voix africaines, de plus en plus fortes, s’élèvent aujourd’hui pour dire aux riches et aux puissants de ce monde : "Assez ! Assez de prêcher la démocratie alors même que vous la foulez au pied avec une arme redoutable : votre soutien à nos oppresseurs. Assez de nous imposer le libéralisme le plus sauvage, que vous vous abstenez d’imposer à vous-mêmes quand vos "intérêts" (votre insatiable appétit) vous dictent cette hypocrisie. Assez d’assurer votre approvisionnement énergétique au prix de vies humaines, votre confort au prix de notre misère. De nouvelles règles du jeu s’imposent." A ces voix là, nous joignons la nôtre.

On a envie de crier, ô Alexandre, si tu savais comme tu nous manques. On a envie de le dire à double titre. D’abord parce qu’il nous manque en effet. Ensuite parce que, probablement, une telle déclaration - si on avait pu la lui faire connaître avant qu’il ne nous quitte - lui aurait inspiré au moins 300 pages pour expliquer en quoi c’est une ânerie de penser qu’il est indispensable pour continuer le combat. Un alibi, un aveu d’impuissance, un renoncement désespérant. Ces 300 pages, nous ne les aurons pas. C’est dommage. A nous de trouver le moyen d’inscrire dans l’histoire les mots et les actes qu’il lui restait à nous inspirer, et de les lui dédier.

D’aucuns ici disent de lui : "C’est un grand écrivain… français ". Le pillage continue. Il y a un an, nous avons dit adieu à notre ami. Inconsolable chagrin ? Non. Nous avons une raison de nous consoler. Mongo Beti est de ceux dont on ne pourra jamais taire le témoignage, grâce aux millions de signes qu’il nous a laissés en héritage. Merci au Cameroun d’avoir donné au monde cet homme-là en partage.

Sharon Courtoux et François-Xavier Verschave, pour l’Association Survie.

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