Survie

Lettre de Jean-Luc Raharimanana, écrivain malgache

Lettre ouverte à Jacques Chirac

Publié le 25 juin 2002

Nous vous prions de trouver ci-après une lettre ouverte de l’écrivain malgache Jean-Luc Raharimanana à Jacques Chirac, Président de la République. Nous vous la transmettons en toute solidarité avec le peuple malgache.

C O M M U N I Q U E - Paris, le 25 juin 2002

Le jugement de Chirac.

Le peuple malgache, depuis décembre 2001, tente de faire reconnaître au monde entier son désir profond de changement après 25 ans de dictature. Vingt cinq ans où le Capitaine de Frégate, Didier Ratsiraka, sorti de Saint Cyr, s’autoproclama Amiral, et cadenassa les espoirs, étouffa dans le sang toute contestation. Madagascar souffre. Madagascar est meurtri. Les médias français parlent d’une centaine de victimes depuis le début de la crise mais a-t-on compté ceux qui ont succombé à cause des barrages asphyxiant les villes ? Impossibilité d’acheminer les médicaments dans un pays déjà pauvre en infrastructures sanitaires. Impossibilité de joindre les centres médicaux. Impossibilité de recevoir ou d’envoyer les produits de premières nécessités (carburant, nourritures, eau dans certaines régions…). Les femmes, les enfants tombent comme des mouches. Des maladies comme la peste et le choléra reprennent vie. La famine s’installe.

Ratsiraka parle de démocratie, de second tour qui n’a jamais eu lieu. Mais comment écouter un seul instant ce discours quand pour faire valoir sa « légalité » et sa « légitimité », il sabote son propre pays ? Bombardements de ponts desservant les régions ( une demi-douzaine à ce jour), tentative de destruction et endommagement de la plus grand centrale d’énergie du pays (Andekaleka). Comment écouter ce discours quand il arme des miliciens et égorge ceux qui le contredisent ? Rien que pour cela, il aurait été déclaré inéligible et criminel dans un autre pays.

Et pourquoi une Nation comme la France continue-t-elle à soutenir un tel personnage ? Quel est l’intérêt de la France dans un pays aussi pauvre ? « Au nom de la Démocratie, nous répond-on, le processus électoral n’est pas allé au bout, Marc Ravalomanana s’est auto-proclamé Président ! ». Après recomptage des voix, il apparaît que ce dernier a bel et bien remporté les élections mais la France persiste dans son idée, fait concocter un plan de sortie de crise par des Eyadéma, des Sassou Nguesso, des Omar Bongo, grands animateurs du Club Françafrique, tous des criminels en puissance et amis de Ratsiraka. Comment s’étonner alors de ces sommations péremptoires de l’OUA et du Quai d’Orsay : Les Malgaches doivent travailler sur les « modalités spécifiques pour les arrangements de transition basés sur l’esprit de l’accord de Dakar et les consultations ultérieures ». Traduction brutale de l’esprit de cet accord : deux co-chefs d’Etat, un gouvernement fifty-fifty, l’oubli des crimes du dictateur.

Le peuple malgache a fait son choix par les urnes et l’a exprimé une fois encore par des manifestations pacifiques saluées par le monde entier. Ratsiraka y répond par le crime. La France par le Jugement de Salomon : coupez Madagascar en deux ! Ratsiraka est prêt à le faire. Le jugement aurait pu tomber sauf qu’à la place de Salomon, nous n’avons que des politiques prêts à tout pour protéger leur « pré-carré africain ».

J’appelle le peuple et les élus français à se désolidariser de cette politique. Pour que la France ne soit pas un sujet de honte pour le monde entier.

Raharimanana, écrivain, Nour, 1947, Editions du Serpent à plumes.

Le 24 juin 2002

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