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Bozizé à l’Elysée

Publié le 19 novembre 2007 - Survie

Lundi 19 novembre, le président français Nicolas Sarkozy reçoit en visite officielle à l’Elysée le président centrafricain François Bozizé. Arrivé au pouvoir en 2003 à la faveur d’un coup d’Etat, cet allier de la France, contesté de toutes parts, continue d’enfoncer son pays dans la guerre civile, avec son cortège d’exaction et de violations des droits de l’Homme, rendant de plus en plus contestable l’engagement de l’armée française aux côtés des forces gouvernementales, récemment auteurs d’exactions à l’encontre de civils.

Dans ces conditions, Survie demande au président français de faire pression sur le président centrafricain afin qu’il mette fin à l’impunité des crimes commis et de suspendre la coopération militaire bilatérale de la France avec la Centrafrique. Notre association appelle également au déploiement d’une force européenne (Eufor) qui ne soit ni sous commandement français, ni ne comprenne de soldats français.

 47 années d’ingérence militaire

Depuis la colonisation sanglante de l’Oubangui-Chari jusqu’à nos jours, la France n’a cessé de jouer un rôle clé dans l’administration du territoire centrafricain. Après la mort mystérieuse de Barthélémy Boganda en 1959, tous les présidents centrafricains furent placés ou destitués suivant le choix politique de l’Elysée : David Dacko, démis par un coup d’Etat appuyé sans discrétion par la France (1965) ; Jean-Bédel Bokassa dont le sacre ubuesque fut financé par Paris et qui fut destitué au cours de l’opération Barracuda menée par des soldats Français (1979) ; David Dacko, provisoirement promu une seconde fois pour tomber face à André Kolingba à la faveur d’un coup d’Etat organisé par le SDECE/ DGSE (1982) ; Ange Felix Patassé « élu » (1993), fervent serviteur de réseaux français à l’œuvre dans le pillage en règle de son pays soutenu et défendu face à la rébellion de sa propre armée par les parachutistes français ; enfin François Bozizé lui même bénéficiant d’un blanc seing lors de son coup d’Etat de mars 2003.

Au cours de ces années d’indépendance, la présence militaire française sur le territoire de la Centrafrique fut quasi continue, jusqu’à se prolonger en 2007 par l’opération Boali, au cours de laquelle les soldats français ont encore combattu la rébellion interne de l’UFDR (Union des Forces Démocratiques pour le Rassemblement) appuyés par les moyens aériens de l’opération Epervier au Tchad.

Cette préemption, perpétuant directement la tutelle coloniale, n’eut d’autre but que de prolonger le pillage discret des richesses du pays (diamant, or, hévéa, ivoire et récemment uranium par le biais d’Areva nouvel acquisiteur d’Uramin). L’armée française, par sa présence, contribua à la liberté de mouvement des réseaux d’exportation illégale, quasi exclusivement français jusqu’il y a peu.

 Violations massives des Droits de l’Homme

Depuis 2005, le nord de la Centrafrique s’enfonce dans la violence et le chaos en raison d’un conflit interne entre le gouvernement de Bangui et plusieurs groupes rebelles. En deux ans, de multiples violations des droits de l’Homme et du droit international humanitaire ont été commises par l’ensemble des parties en conflit. Les groupes rebelles, de l’Union des forces démocratiques pour le rassemblement (UFDR) et de l’Armée populaire pour la restauration de la République et la démocratique (APRD), ainsi que les groupes de bandits, appelés « zaraguinas », ont commis de nombreuses attaques indiscriminées contre des villages, accompagnées de pillages et d’exécutions sommaires.

Mais les violations les plus sérieuses ont été commises par les Forces armées centrafricaines (FACA). En moins de deux ans, les FACA, et plus particulièrement les éléments de la Garde Présidentielle, ont tué des centaines de civils, incendié plus de 10.000 maisons, commis des violences sexuelles en grand nombre et provoqué l’exode de plus de 300.000 personnes au cours d’opérations de représailles contre des villages accusés de collusion avec les groupes rebelles. Des groupes rebelles qui, comme l’armée centrafricaine, comptent dans leur rang un grand nombre d’enfants soldats.

En septembre 2007, des rapports de Human Rights Watch [1] et d’Amnesty International [2] accusant l’armée centrafricaine d’exactions ont amené le Président François Bozizé a radié une vingtaine de militaires des effectifs des FACA pour violations des règlements militaires et à demander pardon pour toutes les violences commises dans le nord du pays, y compris par l’armée nationale. Toutefois, à ce jour, aucun soldat ni officier n’a dû répondre des atrocités perpétrées et les auteurs de violences et d’exactions jouissent d’une impunité totale.

A l’occasion de cette visite officielle, Survie interpelle le président français afin qu’il exhorte le président centrafricain :

 à ordonner à ses forces armées de cesser les attaques contre les civils et de mettre un terme définitif à la présence d’enfants soldats au sein des FACA,

 à prendre toutes les mesures afin que les responsables de telles violations, y compris les fonctionnaires, militaires et forces de l’ordre, soient traduits en justice et sanctionnés pénalement dans le cadre de procès respectant les normes internationales d’équité,

 à coopérer pleinement avec les services de la Cour Pénale Internationale (CPI), dont le Procureur a ouvert une enquête en mai 2007 sur les crimes commis en RCA par les parties au conflit depuis 2002-2003, notamment en facilitant l’adoption, dans les meilleurs délais, du projet de Code pénal et du Code de procédure pénale.

Survie demande également au président français :

 de suspendre immédiatement la coopération militaire de la France avec la Centrafrique par le désengagement des forces armées françaises de l’opération Boali et le retrait des officiers français présents dans l’état major des FACA agissant dans le cadre de l’accord d’assistance et d’instruction,

 de publier l’accord secret de défense qui lie depuis plus de quarante ans notre pays à la Centrafrique, ainsi que l’accord d’assistance militaire et d’instruction. Nos associations considèrent que la signature de ce type d’accord doit faire l’objet d’une approbation préalable du Parlement,

 de limiter le rôle de la France dans la nouvelle force européenne (Eufor) à une contribution financière et logistique et de laisser à d’autres pays européens l’engagement de troupes combattantes et leur commandement. La participation de soldats français, notamment de l’opération Boali, remettrait en effet gravement en cause la neutralité de la force européenne,

 de conditionner toute aide financière bilatérale de la France à la mise en oeuvre de vraies conditions d’exercice de la démocratie, à l’établissement de l’Etat de droit et à la lutte contre l’impunité des crimes commis par l’ensemble des acteurs de la crise,

 de contrôler de manière plus stricte les activités des multinationales françaises en Centrafrique, notamment dans le domaine de l’exploitation de ressources naturelles (diamant, or, uranium, fer, cuivre, bois...)

Télécharger le communiqué :

[1« État d’anarchie : Rébellions et exactions contre la population civile »

[2« Central African Republic : Civilians in peril in the wild north »

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