Survie

Lettre ouverte à Monsieur Ban Ki Moon, Secrétaire général de l’ONU, sur la situation dans l’Est du Congo

Publié le 22 janvier 2013 (rédigé le 14 janvier 2013)

Survie relaye cette lettre ouverte qui alerte utilement sur la situation à l’Est du Congo et s’élève contre la lecture à sens unique de ce qui s’y joue.

Le 14 Janvier 2013

Monsieur le Secrétaire général,

Nous, écrivains, artistes, chercheurs et professeurs des universités, qui suivons de près la situation dans l’Est du Congo, avons décidé, par la présente, de nous adresser directement à vous sur une question dont dépendent la sécurité et le mieux-être de millions d’hommes et de femmes mais aussi la stabilité de toute la région des Grands Lacs et, plus largement, du continent africain.

Nous souhaitons avant tout, par notre geste, attirer votre attention sur une lecture que nous jugeons partiale et réductrice de la situation actuelle dans cette partie de l’Afrique. Une telle lecture est aujourd’hui imposée par les rapports de certains experts internationaux adeptes du « 
single-issue
 », consistant à faire fi de la complexité d’un phénomène pour en donner une explication unique et forcément simpliste. L’enquêteur principal Steve Hege et son équipe, que vous avez nommés, ont ainsi choisi d’accabler dans leurs conclusions le seul M23, pendant que d’autres mouvements rebelles opérationnels depuis 1994 et extrêmement nuisibles sont soit oubliés, soit passés sous silence pour des raisons qui nous inquiètent et nous interpellent.

Cette interprétation orientée, porteuse de tous les dangers, est condamnée à être contre-productive en l’absence d’une vision globale du problème congolais, prenant en compte toutes ses ramifications politiques, économiques et socioculturelles. Nous ne comprenons pas que ces enquêteurs aient choisi d’ignorer l’existence des groupes armés- en particulier, et de manière très significative, des FDLR - responsables d’un chaos sanglant à l’Est du Congo. Nous vous invitons aussi à prendre au sérieux, à la différence de vos prédécesseurs jusqu’en 1994,les signes avant-coureurs d’un embrasement général de la région et, chose tout aussi troublante, les incitations publiques à la haine et au massacre des populations congolaises d’expression kinyarwanda.

Monsieur le Secrétaire général,

Nous apprécions à sa juste valeur le choix de l’ONU de s’investir dans la stabilité du Congo à travers plusieurs missions. Il ne fait aucun doute que ses différentes opérations ont été d’une grande aide pour les populations congolaises sans défense. Nous n’en pensons pas moins qu’il ne sert à rien de traiter les effets d’une politique au lieu de s’attaquer aux causes réelles du mal. Il est temps que ce peuple, victime hier d’une exploitation coloniale féroce et, depuis l’indépendance, de la voracité des compagnies occidentales, chinoises et sud-africaines et de régimes tyranniques et prédateurs,
 puisse jouir des droits que seul peut lui garantir un Etat digne de ce nom. En effet si le Congo, ce pays aussi étendu que toute l’Europe occidentale et aux ressources naturelles quasi inépuisables, est aujourd’hui sans armée ni Etat, ce n’est pas la faute du Rwanda encore profondément traumatisé par un des pires génocides du vingtième siècle et faisant toujours face à la menace que font peser sur sa sécurité des génocidaires bien décidés à « 
finir le travail
 » entamé en avril 1994. Notre conviction est que si le Congo, qui aurait dû être le géant de l’Afrique en est le ventre mou, c’est aussi parce qu’il ne s’est jamais résolu à faire l’inventaire d’expériences coloniale et néocoloniale particulièrement dévastatrices. Il est impérieux pour ce grand peuple de méditer un moment-clé de son histoire, le meurtre de Patrice Lumumba qu’il n’en finit pas d’expier puisqu’il a balisé le chemin du pouvoir à Mobutu Sese Seko. Et chacun sait avec quelle rapacité ce dernier a mis son pays à genoux pendant trente-deux longues années, en complicité avec des puissances étrangères, avant de le laisser complètement exsangue à sa chute.

Monsieur le Secrétaire général,

Nous reconnaissons la nécessité d’une attitude ferme vis-à-vis du M23, et d’une mise en garde
responsable de tous les pays frontaliers du Congo, dont le Rwanda, pour qu’ils s’abstiennent de tout appui à cette nouvelle rébellion qui risque d’embraser, une fois de plus, la région et de plonger ses habitants dans d’effroyables souffrances.

Nous avons toutefois du mal à accepter la logique sélective de ceux qui s’acharnent contre une rébellion récente pour mieux occulter le rôle dans le conflit de plusieurs groupes criminels, bien plus anciens et actifs, qui ont recours à une violence ouverte et massive. Ce silence témoigne à notre avis d’un choix délibéré d’induire l’opinion internationale en erreur. Voilà pourquoi nous tenons à rappeler que plusieurs rébellions opèrent dans le Sud-Kivu, le Nord-Kivu et le Maniema. Oxfam et 41 ONG congolaises en ont dressé la liste dans un récent rapport. Il s’agit de :

  • ADF
 : Alliance des Forces Démocratiques ;
  • APCLS
 : Alliance des Patriotes pour un Congo Libre et Souverain ;
  • FRPI
 : Force des Résistances Patriotiques en Ituri ;
  • FDLR
 : Forces Démocratiques pour la Libération du Rwanda ;
  • LRA
 : Armée de résistance du Seigneur ;
  • M23
 : Mouvement du 23 mars ;
  • Nyatura, rébellion Hutu
 ;
  • Sheka, rébellion Nyange
 ;
  • Mayi-Mayi Yakutumba, rébellion Bembe contre la communauté Banyamulenge ;
  • Raïa Mutomboki, rébellion Rega et Tembo
  • UPCP
 : Union des Patriotes Congolais pour la Paix ;

Source :

164
 OXFAM briefing paper, November 2012. Commodities of war. Communities speak out on the true cost of conflict in Eastern DRC

En plus des violences commises par les soldats gouvernementaux et les groupes armés cités plus haut contre les populations congolaises, « 
les preuves récemment recueillies par Oxfam, dans le cadre d’une enquête impliquant plus de 1300 personnes, dans les provinces du Nord-Kivu, du Sud-Kivu, et dans la province orientale, montrent que les soldats de l’armée nationale et les autorités civiles y compris la police, ainsi que les groupes rebelles, se battent pour le monopole de l’extorsion des biens et de l’argent des communautés locales ». Il est fondamental de souligner qu’à l’exception probable du M23, tous les groupes armés opérant dans les trois régions du Kivu sont hostiles au Rwanda et aux Congolais rwandophones. Ils constituent aussi un danger certain pour la stabilité du Congo. En outre, certaines de ces rebellions menacent d’autres pays de la région. C’est le cas notamment du FNL (Front national de Libération), rébellion burundaise active dans la plaine de la Ruzizi et de deux groupes ougandais, la LRA et l’ADF, ciblant particulièrement le régime de Kampala.

Aucun de ces faits pourtant lourds de sens n’est mentionné dans ces rapports très contestés et qui ont surtout contribué à jeter de l’huile sur le feu. Ce faisant, ils se sont étrangement éloignés de toute possibilité de solution concertée. Bref, ils ont découragé le dialogue initié par des pays africains de la région des Grands Lacs et alimenté la méfiance entre communautés congolaises de l’Est et entre le Congo et le Rwanda.
Cette lecture tronquée, relayée par la presse internationale et locale congolaise ainsi que par les organisations des droits de l’homme, pourrait elle-même très vite générer de nouvelles violences.

Il est difficile pour un esprit rationnel de se faire à l’idée que le destin de millions d’humains puisse à ce point être tributaire des états d’âme d’un expert qui, aussi talentueux soit-il, n’est pas à l’abri de ses propres passions, voire de ses a priori idéologiques. Il apparaît très clairement que dans ce cas précis on a instrumentalisé l’appareil des Nations-Unies pour régler des comptes avec le gouvernement rwandais. Il est surprenant et inacceptable que l’ONU ait placé à la tête d’un groupe d’enquêteurs un homme qui s’est toujours montré en fin de compte si « 
compréhensif

 » à l’égard des Forces démocratiques pour la Libération du Rwanda (FDLR) [1]. Ce mouvement rebelle, constitué des vestiges de l’armée et des milices Interahamwe qui ont commis le génocide contre les Tutsi du Rwanda en 1994, s’est enrichi de nouvelles recrues dans les régions congolaises qu’il occupe depuis plusieurs années. Il continue à y commettre impunément des atrocités inouïes et, pour financer ses opérations militaires, en exploite les minerais en toute illégalité. Il les revend sur le marché international et il serait intéressant de savoir qui sont ses clients.

Monsieur le Secrétaire général,

L’ONU savait-elle au moment de la nomination de Steve Hege qu’il est l’auteur de « 
Understanding the FDLR in DR Congo
 », texte dans lequel
 il s’employait déjà
 à réhabiliter cette organisation génocidaire, présentée comme l’émanation d’un groupe de réfugiés aux revendications légitimes
 ? Agacé et attristé par plusieurs tentatives de rapprochement entre les gouvernements du Congo et du Rwanda, il avouait craindre que ce processus ne marginalise le FDLR qui, écrivait-il, « se sent profondément trahi par les Congolais
 ».


Il s’exprimait ainsi au moment même où le président Barack Obama, alors sénateur, adressait une lettre de protestation à Condoleezza Rice, la Secrétaire d’Etat de l’époque à propos des violences sexuelles contre les femmes congolaises.

Permettez-nous d’en reprendre à votre intention le passage que voici : “ Les criminels – constitués de militaires congolais sans foi ni loi, de milices locales et d’anciens miliciens Hutu ayant trouvé refuge dans les forêts du Congo après avoir participé au génocide rwandais de 1994 – ont réussi à financer et entretenir des conflits armés en exploitant les ressources naturelles du pays et en s’attaquant aux villages où ils commettent d’inqualifiables atrocités.” Voilà en quels termes le président Obama exprimait son indignation contre les génocidaires repliés au Congo.

Mais ce n’est pas tout.

En 2010, dans un document intitulé « 
Independent Oversight for Mining In The Eastern Congo
 :
 A proposal for a third party Monitoring and Enforcement Mechanism », Steve Hege et son associé Jason Stearns, lui-même curieusement ancien investigateur des Nations-Unies sur la violence au Congo, réclamaient le droit exclusif de s’occuper de la vente des minerais de l’Est du Congo pour le compte de leur organisation non gouvernementale dénommée CIC (« 
Center on International Cooperation
 »), d’un budget annuel évalué entre 3 et 5 millions de dollars. Ces deux hommes, à travers le projet évoqué ci-dessus ont fait état, publiquement et par écrit, de leur souhait de commercialiser les minerais de l’Est du Congo. Il est dès lors étonnant que l’ONU ait mis l’un d’eux en position d’arbitre sur une crise aux forts relents miniers dans la même région. Le pire c’est que nous ne savons même plus s’il faut s’étonner de conflits d’intérêt aussi manifestes que scandaleux ou au contraire les juger en parfaite cohérence avec une politique de spoliation du Congo qui ne date hélas pas d’aujourd’hui. Pour s’approprier le marché, Hege et Stearns affirment, avec condescendance, que « 
(les institutions locales congolaises) sont essentiellement faibles et facilement exposées à la manipulation politique, au conflit des intérêts, à la corruption et, plus important, à l’intimidation de la part des gouvernants et des militaires eux mêmes. »

Le mépris à l’égard du peuple congolais, que ces deux personnes prétendent pourtant défendre, est aussi patent que leur désir de se substituer aux autorités de ce pays. Le moins que l’on puisse dire, c’est que les conditions n’étaient pas réunies pour l’élaboration d’un rapport objectif. Il nous est dès lors absolument impossible de comprendre le choix fait par le Conseil de Sécurité de reprendre à son compte les conclusions du Groupe d’Experts sans débat ni mise à l’épreuve préalable.

En tant que chercheurs, nous nous interrogeons sur l’impartialité et la rigueur d’une approche qui s’appuie largement et dans les termes les plus vagues sur une des parties, à savoir les officiels congolais et des opposants au régime de Kigali.

Nous notons au demeurant sans surprise que ce rapport-ci, comme les précédents, a fait l’objet d’une « 
fuite
 » bien opportune, destinée à distiller dans les medias et dans l’opinion internationale le message suivant
 : le monstrueux M23 est une création du Rwanda. Sauf votre respect, nous ne voyons pas ce que l’appui, fantasmé ou réel, du Rwanda à un tel mouvement, peut bien changer au fond de l’affaire. L’irruption du M23 sur la scène du drame congolais est postérieure à la présence de la Monusco et des groupes armés au Congo. Cela veut dire que le M23 est moins la cause qu’une simple conséquence d’une crise régionale aux multiples facettes.

Certains choisissent d’ignorer cette évidence car il est plus commode pour eux d’instruire le procès de ces mutins que de parler des maux, connus de tous, qui gangrènent la société congolaise et dont le moindre n’est pas une corruption généralisée. Les rapports du Groupe d’experts de l’ONU ainsi que la couverture médiatique dont ils ont bénéficié aident à faire oublier les sociétés minières étrangères qui ont littéralement fait main basse sur le Congo.

Oserons-nous vous suggérer de diligenter une enquête sur ce pillage
 ? C’est ce que le monde, l’Afrique, et en particulier le peuple congolais, attendent du Conseil de sécurité.

Monsieur le Secrétaire général,

Les Nations-Unies ont tort, à notre avis, de penser que la mise hors jeu du M23 et la suspension paradoxale de l’aide au développement du Rwanda - un pays salué pour la gestion rigoureuse, saine et transparente de son budget national - vont suffire pour ramener la paix à l’Est du Congo.

L’expérience a également montré les limites de la solution militaire consistant à faire appuyer les forces gouvernementales congolaises par la Monusco. Sur le terrain, une telle option a pour principal résultat d’entretenir la guerre à laquelle on prétend par ailleurs mettre fin. C’est ainsi qu’au cours de la prise de Goma, le M23 a récupéré plus de 4 tonnes d’armes que l’on pourrait retrouver à un moment ou à un autre entre les mains de différents groupes rebelles.

Selon nous, la meilleure façon de contribuer à la paix et à la sécurité dans la région des Grands Lacs consisterait, entre autres,

  • 





 à décourager tout appui du Rwanda au M23 afin de permettre aux communautés congolaises d’initier des discussions de fond sur leurs problèmes nationaux
 ;
  • à décourager toute association du Congo avec le FDLR et tout soutien du gouvernement congolais aux groupes armés qui sévissent actuellement sur son territoire
 ;
  • à s’attaquer à tous ces groupes armés et aux logiques qui en alimentent l’esprit destructeur
 ;
  • à prendre au sérieux les légitimes revendications sécuritaires du Rwanda.
  • à œuvrer sans relâche pour un rapprochement entre les gouvernements du Congo et du Rwanda
 ;
  • à favoriser un échange franc et respectueux entre les forces intellectuelles, éthiques et spirituelles rwandaises et congolaises pour qu’elles initient et promeuvent un « 
vivre-ensemble
 » fertile entre les communautés
 ;
  • à initier des solutions qui intègrent les différents paramètres de la crise à l’Est du Congo
  • à réexaminer les accords occultes entre le
 gouvernement congolais et
 les compagnies minières opérant sur son sol,
  • à exiger une gestion saine des ressources du Congo par l’Etat congolais,
  • à diligenter une enquête sur le clientélisme et l’enrichissement illicite de la classe dirigeante congolaise actuelle, afin d’impulser une dynamique de gouvernance saine en RDC ; 

  • à privilégier la
 voie du dialogue initiée par la conférence des Grands Lacs
 et non les menées bellicistes qui risquent de provoquer une grande guerre africaine aux conséquences incalculables
 ;
  • à protéger des communautés marginalisées prêtes à s’enrôler par désespoir dans des rébellions sans lendemain
 ;
  • à défendre l’intangibilité des frontières congolaises, conformément aux vœux du peuple congolais convaincu de la communauté de destin de toutes ses composantes ethniques
 ;
  • à lier la notion d’intangibilité des frontières aux droits des communautés propriétaires de leurs terres à vivre tranquillement et en toute sécurité dans leur pays en tant que citoyens congolais de plein droit
 ;
  • à améliorer les méthodes de recrutement des enquêteurs de l’ONU dont les rapports ont une si grande influence sur le cours des évènements. Il est hautement souhaitable de veiller à ce qu’ils ne soient engagés qu’à l’issue de procédures transparentes et contradictoires, de nature à écarter tout risque ou soupçon de partialité de leur part.

Monsieur le Secrétaire général,

L’impératif de l’heure est la défense résolue par les Nations-Unies du principe de l’intangibilité des frontières congolaises. Elle est toutefois vouée à un échec certain si elle fait l’impasse sur les discriminations envers les citoyens congolais d’expression kinyarwanda, propriétaires de plein droit des terres congolaises où ils vivent de génération en génération depuis des siècles.

Pour bien comprendre la vulnérabilité d’une communauté marginalisée et indexée dans l’imaginaire congolais actuel comme la source de tous les maux du pays, il faut remonter aux origines du problème, à l’époque où, dans la dynamique de la Conférence de Berlin, des territoires rwandais sont devenus congolais ou encore lorsque, dans les années 30, des populations rwandophones ont été transplantées au Congo. Il n’y a pas longtemps, plus précisément dans les années 80, ces citoyens de seconde zone, privés de leurs doits civiques, étaient électeurs, mais pas éligibles. Au cours de la même période, durant « 
l’Opération Herbe

 », des étudiants Tutsi ont été battus et renvoyés des universités zaïroises. Du reste, afin que les objectifs visés par ces campagnes meurtrières soient bien clairs pour tous, un document a circulé en ce temps-là sous le titre révélateur
 : 
 « 
Vive la nation zaïroise et à mort les usurpateurs de notre nationalité
 ». Ce texte appelait à « 
frapper ensemble et partout ces serpents (les étudiants Tutsi) qui veulent nous mordre
 ».
 Une décennie plus tard, au début des années 90, les Congolais Tutsi étaient tous interdits de participation à la « 
Conférence nationale souveraine

 », toujours sous prétexte qu’ils n’étaient pas « 
Zaïrois
 ».

La chute de Mobutu, qui avait pourtant fait naître l’espoir de lendemains meilleurs grâce aux liens forgés dans la lutte contre la dictature, n’a fait qu’accentuer l’hostilité envers les Congolais rwandophones. De dérive en dérive, on en est arrivé aujourd’hui à ce qu’il faut bien appeler un désir ardent, quoique diffus, d’en finir une fois pour toutes avec ce que d’aucuns se permettent d’appeler
 « 
la question tutsi.
 » Certains milieux, ignorant les leçons de l’histoire, s’imaginent qu’il suffirait de se débarrasser de la communauté d’expression kinyarwanda du Congo pour améliorer les conditions d’existence du reste de la population.

Monsieur le Secrétaire Général,

Nous pensons qu’il est urgent de procéder à une analyse moins tendancieuse et étriquée de la situation du Kivu, préalable nécessaire à toute solution durable. Nous ne saurions trop insister sur le fait que la focalisation exclusive sur le M23 et le Rwanda est suspecte et encourage les discours venimeux chez les extrémistes de plus en plus hardis qui n’hésitent plus à appeler dans les media sociaux à l’extermination des Tutsi. Le gouverneur du Nord Kivu, Julien Paluku, des membres du gouvernement congolais, une certaine presse locale congolaise, des hommes d’Eglise comme Bishop Élisée, un musicien comme Boketsu 1er incitent, ouvertement ou insidieusement, à la haine contre les populations Tutsi du Congo. Il est temps que vous-même preniez, à l’inverse de celui qui occupait vos fonctions en 1994, la mesure des périls qui menacent des populations civiles sans défense et dont le seul tort est d’être ce qu’elles sont. Une grande partie de la population congolaise, chauffée à blanc par son gouvernement et par les accusations de Hege et d’une certaine presse, est aujourd’hui prête pour un meurtrier passage à l’acte. Les alliances entre les militaires de l’armée congolaise et les milices génocidaires sont un autre signe qui ne devrait tromper personne, et surtout pas vous qui avez une responsabilité particulière dans la préservation de la paix mondiale.

Monsieur le Secrétaire Général,

Nous demandons aux Nations-Unies de tout mettre en œuvre pour qu’à l’absurde guerre de l’Est de la RDC se substitue enfin une paix durable. Cette paix est un rêve et nous avons voulu vous dire, à travers cette lettre, à quelles conditions il peut, selon nous, devenir une réalité.

Pour préserver les chances de cette paix à venir, nous, écrivains, professeurs des Universités, chercheurs et artistes d’horizon divers, dénonçons la mutinerie du M23.

Nous nous élevons également contre tout appui, d’où qu’il vienne, à ce mouvement armé. Mais nous estimons aussi qu’il est de notre devoir d’appeler la communauté internationale à traiter avec plus de sérieux et de rigueur la question de la présence de génocidaires lourdement armés sur le sol congolais, grave source d’inquiétude pour le Rwanda.

Nous condamnons également avec fermeté la tentative de militarisation à outrance du Kivu par le gouvernement congolais.

Monsieur le Secrétaire général,

Nous vous invitons à prendre vos responsabilités face aux menaces sur lesquelles nous avons voulu attirer votre attention. Il n’en va pas seulement du destin des populations et de leur besoin de sécurité dans les pays des Grands Lacs
 ; il en va aussi de la crédibilité des Nations-Unies et de l’honneur de l’humanité.

En souhaitant que 2013 soit l’année du dialogue et de la paix pour tous les peuples de la terre, nous vous prions d’accepter Monsieur le Secrétaire général, les assurances de nos meilleurs sentiments.

Signataires
 :

  • Boubacar Boris Diop, Sénégal, romancier, essayiste et enseignant, Université Gaston Berger, Saint-Louis- Senegal.
  • Godefroid Kä Mana, RDCongo, philosophe, analyste politique et théologien, Professeur, Université évangélique du Cameroun, Institut catholique de Goma-RDCongo.
  • Jean-Pierre Karegeye, Rwanda, Directeur du Centre d’études pluridisciplinaires sur le génocide, Professeur assistant, Macalester College, Minnesota-USA.
  • Margee Ensign, USA, Présidente de l’Universite américaine du Nigeria.
  • Koulsy Lamko, Tchad, Romancier, dramaturge, directeur de la Casa Hankili Africa, Centro Historico in Mexico.
  • Wandia Njoya, Kenya, Professeure assistante, Daystar University, Nairobi-Kenya.
  • Aminata Dramane Traoré, Mali, écrivaine, sociologue, ancienne ministre de la Culture.
  • Susan Allen, USA, Professeure, Emory University, Atlanta.
  • Jean-Claude Djereke, Côte d’Ivoire, Centre de Recherches Pluridisciplinaires sur les Communautés d’Afrique Noire et des Diasporas, Ottawa, Canada.
  • Jean-François Dupaquier, France, écrivain , Journaliste
  • Erik Ehn, USA, Directeur de programme, Writing for Performance, Brown University.
  • Mireille Fanon Mendes-France, France, Présidente, Fondation Frantz Fanon.
  • Gerise Herndon, USA, professeure, directrice de Gender Studies, Nebraska Wesleyan University.
  • Timothy Horner, USA, Professeur associé, Center for Peace and Justice Education, Villanova University.
  • Jean-Baptiste Kakoma, RDCongo, Médecin, Professeur, ancien doyen de la faculté de médecine, Ancien recteur de l’université de Lubumbashi en RDCongo, Directeur de l’école de Santé publique, Université nationale du Rwanda.
  • Aloys Mahwa, chercheur , centre d’etudes pluridisciplinaires sur le génocide, Kigali-Rwanda.
  • Yolande Mukagasana, Rwanda, écrivaine, Survivante du génocide, Lauréate du prix la colombe d’or, lauréate du prix Unesco de l’éducation pour la paix.
  • Timothée Ngakoutou, Tchad/France, professeur, ancien recteur de l’université du Tchad, ancien haut fonctionnaire de l’UNESCO chargé de mission pour l’éducation.
  • Moukoko Priso, Cameroun, Professeur, Université évangélique du Cameroon. François Wokouache, Cameroun, cineaste, Directeur de KEMIT.

[1Steve Hege, mentionné dans cet article de Billets d’Afrique : Qu’est-ce qui se cache Ladsous ? La chasse gardée de la France à l’ONU

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