Survie

L’hégémonie américaine sur les droits de l’homme au Darfour

Publié le 5 juillet 2004 - Félix Katz

Bien que les organisations humanitaires publiques et privées aient depuis 6 mois tiré la sonnette d’alarme, les dirigeants occidentaux ont montré longuement une sorte d’impuissance face à la tragédie du Darfour. Les « préoccupations » de Jacques Chirac, transmises par le secrétaire d’État aux Affaires étrangères Renaud Muselier lors de sa visite fin juin, ont eu aussi peu d’effet sur le gouvernement soudanais que les récriminations de Tony Blair quant à l’inaction des Nations-unies devant le drame en cours.

Il a fallu attendre la détermination du ministre des Affaires étrangères américain, Colin Powell, et ses menaces de sanctions à l’encontre d’officiels soudanais pour que Khartoum passe d’une attitude de déni à une collaboration feinte. De même, c’est sous l’impulsion de Powell que le Conseil de sécurité travaille à la rédaction d’une nouvelle résolution [1] sur le Soudan, condamnant explicitement des responsables gouvernementaux pour les massacres commis au Darfour, imposant un embargo sur les armes et envisageant une intervention militaire internationale. Sa visite médiatisée des 29 et 30 juin aura donc préparé le terrain pour les négociations fructueuses du secrétaire général des Nations-unies, Kofi Annan, avec les autorités soudanaises.

Dans ce contexte, le silence de l’Europe en général, et de la France en particulier, est assourdissant. L’agence de presse officielle SUNA vante à juste titre les bonnes relations du régime soudanais avec les autorités françaises. Au cours du mois de mars, MM Sarkozy et de Villepin ont rencontré chacun leur homologue soudanais sans que la France ne s’offusque publiquement des massacres au Darfour. Renaud Muselier était porteur d’un message oral de Jacques Chirac pour El Bechir lors de sa visite fin mai, sans que cela ne se traduise par la moindre avancée diplomatique.

Il est vrai que le régime soudanais peut s’enorgueillir d’avoir à Paris un allié fidèle, qui appuie la plupart de ses positions lors des négociations avec les rebelles du Darfour. Les positions officielles du Quai d’Orsay sur le sujet sont édifiantes. Il se refuse à toute déclaration sur les négociations en cours à Paris entre le ministre soudanais aux Affaires humanitaires, M. Abdallah, et les dirigeants en exil du MJE (Mouvement pour la justice et l’égalité, groupe armé rebelle du Darfour), alors que la presse soudanaise annonce l’aide de la diplomatie française. Le 28 avril, lors des questions d’actualité à l’Assemblée nationale, la ministre déléguée Claudie Haigneré déclarait : « La France s’est fortement impliquée [...] en soutien à la médiation du président Déby, dans les pourparlers de paix qui ont abouti à N’Djamena le 8 avril à la conclusion d’un accord de cessez-le-feu ». Or le gouvernement soudanais est accusé de poursuivre les bombardements de villages, et les incursions de Jenjawids sur territoires tchadiens se sont multipliées depuis. La ministre se félicitait des travaux de la Commission des droits de l’Homme des Nations-unies, « qui a abouti à un accord sur un mécanisme concret de surveillance de la situation des droits de l’Homme au Soudan ». Pourquoi encore se faire du souci ?

Félix Katz

[1Dans la résolution 1547 du 11 juin, les félicitations du Conseil pour les progrès des négociations de paix entre le gouvernement et les rebelles sud-soudanais du SPLA/M éclipsaient un appel timoré de retour au calme à toutes les parties opérant au Darfour

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