Survie

Déby, le choix du pire

rédigé le 15 mai 2021 (mis en ligne le 20 septembre 2021) - Fabrice Tarrit

Décédé le 19 avril dernier dans des circonstances opaques, le dictateur tchadien Idriss Déby a été, pendant plus de 30 ans, un des dictateurs africains les plus soutenus par les autorités françaises, soutien qu’il a su habilement négocier, et qui lui survit. Plus que la stabilité du Tchad, c’est celle de la présence militaire française dans la sous-région que Paris a toujours privilégié, au mépris des droits humains et des revendications démocratiques des Tchadiens.

Un dictateur notoire, allié par défaut, faute d’alternative crédible, voilà comment il y a moins de 10 ans des diplomates français, des conseillers de l’Élysée justifiaient la poursuite du soutien de la France au régime d’Idriss Déby aux ONG venues s’en offusquer. Arrivé au pouvoir par la force et avec la caution de la France en 1990, ce dernier s’y maintenait alors avec beaucoup de difficultés tant le manque de soutien populaire dont il faisait l’objet apparaissait flagrant, avec pour conséquence des fraudes électorales à répétition, le maintien d’une répression permanente. Un régime paranoïaque, sous la constante menace des rébellions, soutenues par Khartoum ou Tripoli, dont la plus grande peur était de perdre le soutien de la France, soutien qu’il a pourtant réussi à conserver jusqu’à sa tombe, à grands coups de chantages, manipulations, instrumentalisation de conflits.
La pression des associations de défense des droits de l’Homme, parfois relayée par la presse française commence à prendre de l’ampleur au début des années 2000, dans le contexte du projet pétrolier Tchad-Cameroun, financé par la Banque Mondiale mais dénoncé par une plate-forme internationale d’ONG mettant en lumière les conséquences environnementales mais aussi politiques et sociales d’un tel projet. La mascarade électorale de 2001, appuyée par la France, et la répression des opposants suscitent à leur tour des protestations auprès des chancelleries tandis que le procès pour offense à chefs d’État intenté par Déby, Bongo et Sassou au président de Survie se conclut par la victoire de ce dernier.

Sauver le soldat Déby

Mais la ligne diplomatique demeure invariable, pas touche à Déby pour ne pas nuire à la présence militaire française et ne pas déstabiliser davantage une sous-région marquée par les conflits, quand bien même le régime en est un protagoniste avéré. Paris gère donc tant bien que mal les relations parfois compliquées avec cet homme brutal, impulsif, peu soucieux de donner un vernis démocratique à son régime.
Un ambassadeur, Jean-Pierre Berçot s’illustre entre 2003 et 2006. Militaire de formation, il traite Déby, formé à l’École de Guerre, en bon camarade de régiment et, en pleine campagne électorale se permet de critiquer l’opposition tchadienne en public. Lorsqu’en avril 2006, Déby est menacé par une rébellion qui progresse vers N’Djamena, le soutien français de Jacques Chirac ne tarde pas. La colonne de pick up des rebelles fait l’objet de tirs de missiles par l’aviation tricolore. Un « tir de semonce », selon la terminologie officielle qui aurait pu aussi résonner comme un avertissement pour un Déby aux abois. La médiatisation du conflit au Darfour, dans le Soudan voisin, permet cependant au dictateur tchadien, qui s’érige en rempart contre les dérives du régime de Béchir, de desserrer l’étau.

Paris sacrifie 
(encore) les Tchadiens

Janvier 2008, une nouvelle offensive rebelle sur Ndjamena est contrée par l’armée de Déby, encore une fois fortement soutenue par les forces françaises, un opposant politique Ibni Oumar Mahamet Saleh disparaît, les protestations se multiplient. Le french doctor Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères de Nicolas Sarkozy, ravale ses bons sentiments droits de l’hommiste. Déby maître du chantage, est reçu à l’Elysée et parvient à convaincre Sarkozy de venir en visite à Ndjamena, en échange de la libération des pieds nickelés humanitaires de « l’Arche de Zoé ».
En 2012, le régime tchadien est dans le collimateur des conseillers Afrique de François Hollande, lorsque ce dernier accède à l’Élysée. On murmure que le lâchage de Déby pourrait servir d’exemple pour incarner une nouvelle politique africaine. De nombreux opposants sont rencontrés et Hollande ferme la porte aux premières tentatives de Déby de s’inviter à l’Elysée.
Mais la guerre française au Mali provoque un revirement total, Déby négocie son engagement et celui de ses soldats auprès de Serval, puis de Barkhane (dont le Tchad héberge le commandement) au prix de son retour dans le premier cercle des chefs d’État « amis de la France », position qu’il a su conserver jusqu’à sa mort, comme l’incarne la présence d’Emmanuel Macron à ses obsèques, le 23 avril 2021. A N’Djamena, alors que l’un des fils, Mahamat Idriss Déby, a succédé au père après un coup d’État constitutionnel, la diplomatie française joue le même jeu qu’au Togo en 2005, ou au Gabon, celui de la normalisation de la succession dynastique, et soutient le conseil militaire de transition qui a pris le pouvoir. Dans deux articles publiés [les 12 et 13 mai, Mediapart évoquait des transactions à peine dissimulées de diplomates français avec certains opposants, les propositions de postes ministériels, les incitations à cesser de manifester adressés aux organisations de la société civile, les menaces directes adressées aux dirigeants rebelles du FACT. La Françafrique au sommet de son art, qui continue à gérer le Tchad comme une colonie, voire une caserne.
Au peuple tchadien, qui réclame depuis 20 ans un dialogue politique national inclusif, aux militants des droits de l’Homme qui ont eu beau clamer dans le désert médiatique qu’Idriss Déby a été le plus grand terroriste de la sous-région et que son régime ne sera jamais un rempart contre quoi que se soit, la France répète à l’infini les mêmes arguments maintes fois détrompés, utilise les mêmes recettes éculées. En sauvant la peau de Déby comme ils l’ont fait en de si nombreuses reprises, et en sécurisant sa succession, les dirigeants français ont avant tout cherché à préserver la place de l’armée française et ce qu’ils pensent être l’intérêt de la France. A N’Djamena, les slogans contre l’ingérence française résonnent dans les manifestations. Comment s’en étonner, dans un pays qui a été le théâtre du plus grand nombre d’OPEX tricolores depuis les indépendances, qui subit depuis 1986 la présence permanente de l’Opération Epervier (intégrée en 2014 au dispositif Barkhane) et qui n’a jamais gagné en retour ni paix, ni sécurité, si stabilité ?
Fabrice Tarrit

#GénocideDesTutsis 30 ans déjà
Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 307 - mai 2021
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