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Responsabilités françaises dans les crimes commis au Tchad

Publié le 5 juillet 2016 - Survie

Alors que le verdict du procès d’Hissène Habré a été prononcé le 30 mai 2016, le condamnant à perpétuité pour crimes contre l’humanité, crimes de guerre, actes de torture et viols, l’ONG Human Rights Watch, qui a porté ce procès et mené des enquêtes, a publié deux rapports l’un concernant le soutien de la France, l’autre celui des Etats-Unis [1], au régime d’Hissène Habré.

Le rapport très documenté « Allié de la France, condamné par l’Afrique, Les relations entre la France et le régime tchadien de Hissène Habré (1982-1990)  » rédigé par Henri Thulliez, souligne le soutien diplomatique et militaire dont a bénéficié Habré, soutien qui a contribué au maintien au pouvoir du dictateur et s’est opéré via un volet militaire particulièrement développé : livraison d’armes, formations, interventions militaires, soutien logistique…
Si le volume de l’aide militaire reste flou, les livraisons de matériel militaire ont été constantes et conséquentes. Le rapport en détaille un certain nombre et précise qu’une seule livraison a été réglée par l’État tchadien, en 1990 (p. 66). Sur place, l’armée française participe à l’entretien du matériel. Par ailleurs, des avions français Transall ont servi au transport de prisonniers de Habré, ceux-ci étant plus discrets. Des formations sont dispensées à l’armée tchadienne, à la DDS et une école d’officiers est mise en place dès 1985. Parmi les bénéficiaires de formation, Idriss Déby, puis Guihini Korei, ancien directeur de la DDS qui offrira ensuite ses services au Togo, surnommé alors « le cimetière ambulant », ont été accueillis en France à l’Ecole supérieure de guerre.
Des priorités géostratégiques, notamment des enjeux d’influence face à la Libye et aux Etats-Unis, ont justifié une politique d’appui à un régime coupable de crimes que les autorités françaises ne pouvaient ignorer.

Pour Survie, ce rapport étaye ce que notre association a sans cesse dénoncé et interpelle sur les responsabilités françaises pendant la période Habré. Mais il interpelle aussi sur le soutien actuel de la France au régime de Déby. Dans le cas du régime de Habré, comme de celui de Déby, le soutien se justifie par des enjeux géostratégiques, et s’opère via la dimension militaire. Aujourd’hui, les enjeux de la guerre contre le terrorisme justifient le soutien et l’alliance militaire renforcés avec un régime qui terrorise sa population.
Depuis 1990 où la France a misé sur Déby contre Habré, proche des Etats-Unis,le soutien militaire au régime de Déby, tel que le détaille le dossier publié récemment par Survie, se poursuit sans discontinuité et contribue largement au maintien au pouvoir de Déby : maintien de l’opération Epervier – désormais Barkhane qui contribue au renseignement et fournit un appui logistique, formations, interventions militaires qui ont permis à Déby de se maintenir au pouvoir, notamment en 2008...
Cependant, depuis 26 ans, différentes ONG, comme, parmi d’autres, Amnesty International, la FIDH, la Convention Tchadienne de défense des droits de l’homme, signalent régulièrement de graves violations des droits de l’Homme au Tchad et Survie dénonce ce soutien à la dictature tchadienne. Ces derniers mois, dans le contexte électoral, les pratiques répressives illustrent de nouveau les réalités de ce régime : tirs contre les manifestants, liberté d’expression quasi inexistante, menaces contre la société civile, arrestations arbitraires… Un rapport d’Amnesty alerte sur la disparition de militaires tchadiens qui n’auraient pas « bien » voté lors des élections.

Une telle proximité questionne sur les responsabilités de la France au Tchad, à travers sa coopération militaire. Nous demandons aux parlementaires d’ouvrir une commission d’enquête sur les responsabilités françaises dans les exactions et crimes contre l’humanité ou crimes de guerre commis au Tchad sous le régime de Habré, et dans les exactions du régime de Déby depuis 1990.

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