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TCHAD. Disparition d’Ibni : la France face à ses compromissions

Publié le 5 septembre 2008 - Survie

Alors que la « Commission d’Enquête sur les événements survenus en République du Tchad du 28 janvier au 8 février 2008 et leurs conséquences » vient de rendre public son rapport, la France, qui par la voix de son président Nicolas Sarkozy avait demandé l’instauration de cette commission, ne peut se satisfaire d’un rapport qui vise à blanchir le régime Déby.

Depuis le début de cette affaire, la France joue un double jeu. D’une part elle a soutenu, par un appui à l’armée tchadienne et des livraisons d’armes, le régime d’Idriss Déby qui, sous couvert d’une nouvelle attaque de l’opposition armée en février dernier, a ainsi pu s’en prendre à l’opposition non-armée ainsi qu’à des responsables de la société civile ; d’autre part, elle a demandé à son allié tchadien la création d’une commission d’enquête devant faire la lumière sur la disparition de plusieurs opposants, suite au tollé provoqué par celle-ci.

Déjà, par un communiqué en date du 29 février, Survie dénonçait une commission d’enquête partiale présidée par un proche de Déby, le président de l’Assemblée nationale, dans laquelle figuraient entre autres les ministres des Affaires étrangères du président congolais Denis Sassou Nguesso et de Mouammar Kadhafi. Une composition qui présageait d’un travail partial qui ne pouvait satisfaire ni les familles des victimes ni les partis d’opposition ainsi visés.

C’est donc sans grande surprise que le rapport de la Commission, publié ce 3 septembre, ne fait que partiellement la lumière sur la disparition d’Ibni Oumar Mahamat Saleh (porte-parole de la Coordination des partis pour la défense de la démocratie-CPDC). Le rapport indique qu’Ibni a été arrêté « par les Forces de défense et de sécurité » qui ont « commis des violations graves attentatoires à la dignité humaine et participé aux enlèvements de personnalités politiques et civiles » et confirme l’existence de « prisons secrètes […] où croupissent des détenus qui échappent à tout contrôle judiciaire ». In fine, c’est bien le chef de l’Etat tchadien qui est directement responsable des exactions attribuées de façon pernicieuse à des militaires ou plus généralement à « l’Etat ».

Mais l’enquête n’est pas allée plus loin. Un certain nombre de personnes, dont le témoignage était capital, n’ont pas été entendues. C’est le cas par exemple de Ramdane Soulaiman (directeur du contre espionnage de l’Agence nationale de sécurité, ANS) et d’Adam Soulaiman (directeur du service B2 des Renseignements militaires). C’est également le cas d’un autre témoin, un Français : un certain capitaine Daniel Goutte qui, selon l’audition du député Ngarlejy Yorongar, aurait assisté à l’extraction d’Ibni Saleh au cours de leur détention sans savoir, toutefois, s’il était encore vivant ou mort. Quant à ce lieu de détention, il n’aurait pas été visité par la Commission. Aussi, les « deux officiers de l’armée française » placés auprès de la présidence tchadienne au moment des faits (ce qu’indique Idriss Déby lui-même dans ce rapport) auraient probablement beaucoup de choses à dire.

Pourtant, cette enquête semble satisfaire «  L’Organisation internationale de la Francophonie (O.I.F) et l’Union européenne (dans sa formation représentée localement : Allemagne, France, Commission européenne), Observateurs au sein de cette entité, [qui] se félicitent de l’aboutissement des travaux de la Commission d’enquête [et] saluent la qualité générale et l’impartialité du travail accompli », tout en soulignant que « la manifestation de la vérité n’a pu être faite sur certaines affaires, en particulier sur le cas emblématique de la disparition de l’opposant politique Ibni Oumar Mahamat Saleh » [1]. Une telle attitude, somme toute prudente et peu ferme vis-à-vis du régime tchadien, va dans le sens d’un enterrement pur et simple de cette affaire et d’un blanc seing offert à Déby, pour qui la publication de ce rapport constitue un acte de blanchiment.

Dans ce contexte, la France, alliée inconditionnelle du régime Déby ne peut rester silencieuse à ce qui s’apparente, encore une fois, à un déni de justice. Elle ne peut faire la sourde oreille et détourner les yeux sur les crimes de son partenaire tchadien. Nicolas Sarkozy, qui souhaite « soutenir les régimes démocratiques africains » (déclaration à la 17ème Conférence des ambassadeurs), doit accorder ses actes à ses paroles au Tchad.

A défaut, cela constituerait une attitude inacceptable lorsque l’on sait que c’est par ce genre de manœuvres (intimidations, enlèvements, disparition d’opposants) que le président Déby torpille toute initiative de dialogue politique avec les partis d’opposition, et notamment, outre le dialogue inclusif réclamé par la société civile, la mise en œuvre de l’accord du 13 août 2007 qui doit aboutir à l’organisation d’élections libres et transparentes d’ici à 2009 [2]. Un acte de plus de la diplomatie française [3], qui ruine les espoirs du peuple tchadien aspirant à la justice, à la paix et au changement.

Afin satisfaire ces exigences, c’est une Commission d’enquête internationale indépendante qui doit être mise en place, ayant pour but de cerner les véritables responsabilités de tous les acteurs de cette crise, et tout particulièrement celles du président Déby.


Retrouvez ce communiqué traduit en anglais

[1Communiqué du 3 septembre

[2Cet accord a été signé entre la majorité présidentielle et l’opposition politique avec comme président du Comité de suivi M. Lol Mahamat Choua, lui aussi arrêté par l’Armée tchadienne en février dernier puis placé en résidence surveillée.

[3Lors de sa visite au Tchad en février dernier, Nicolas Sarkozy avait argué devant le Comité de suivi de l’accord du 13 août, que les partis d’opposition ne pouvaient « pratiquer la politique de la chaise vide » en référence au refus des partis concernés de participer à ce Comité tant que la lumière sur la disparition de leurs dirigeants n’aurait été faite.

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