Survie

La France a longtemps orchestré le blocage de toute aide internationale au nouveau gouvernement de Kigali, en charge de reconstruire un pays ravagé par les effets du génocide

Publié le 4 novembre 1996

Les responsables de la Banque mondiale et de l’Union européenne ne le cachent pas : jusqu’à fin novembre 1994, la France a usé de toute son influence pour empêcher l’octroi d’aides d’urgence au nouveau régime de Kigali, qui lui auraient simplement permis de réduire la phase de désorganisation du pays, si préjudiciable au retour de la paix civile.

Ce n’est pas un problème financier. Kathi Austin fait observer que " près d’1,5 milliards de dollars de la communauté internationale sont venus financer une opération massive de secours aux réfugiés. Parti d’une bonne intention, cet argent aide maintenant au regroupement de l’armée hutue vaincue. Pendant ce temps, pas un centime d’aide étrangère n’a été fourni au nouveau gouvernement rwandais, ce membre reconnu des Nations unies - ni pour sa reconstruction, ni pour sa sécurité (60) " .

On peut trouver confirmation de l’origine du blocage chez un parlementaire français peu suspect de tiers-mondisme primaire, le sénateur Guy Penne, ancien conseiller pour les affaires africaines de François Mitterrand : " La France a mis son veto à un projet de subvention par l’Union européenne au gouvernement rwandais... [...] Les chances de succès de ce processus de transition que conduit le FPR sont fragiles. Mais ce gouvernement à base élargie reste dans l’épure d’Arusha. Notre aide est attendue (61) ". Un haut-fonctionnaire européen précise : " C’est un secret de polichinelle, tout le monde sait que la France use de tous les mécanismes pour retarder autant que possible l’aide européenne au nouveau gouvernement rwandais ".

Cette vindicte a soulevé une indignation croissante, notamment au Parlement européen, et pas seulement chez les députés étrangers. Le président de la Commission Développement, Bernard Kouchner, jusqu’alors très prudent sur la gestion politique du dossier rwandais, a pris la tête de la fronde. La parlementaire travailliste Glenys Kinnock (épouse du nouveau Commissaire européen Neil Kinnock) s’est écriée, lors d’une Conférence de presse le 15 novembre 1994 : " Le bon vieux temps du colonialisme est passé, et l’Afrique n’est pas l’arrière-cour des pays européens, ni de la France, ni de la Belgique, ni du Royaume-Uni ".

Médecins sans frontières et Oxfam ont déclaré, le 25 novembre 1994, que la France, soutenue par la Belgique, avait imposé des conditions irréalistes au gouvernement rwandais pour le déblocage de l’aide européenne.

Nouveau ministre de la Coopération, Bernard Debré tenait sur RFI, le 18 novembre, des propos iconoclastes : si " la politique française à l’égard du Rwanda est difficile à cerner [...], c’est que l’Elysée, le président Mitterrand, est très attaché à l’ancien président Habyarimana et sa famille, et à tout ce qu’était l’ancien régime ". Alain Juppé eut beau préciser que le nouveau ministre n’avait pas encore eu le temps d’étudier le dossier, la France devait céder une semaine plus tard : l’Union Européenne accordait une aide de 67 millions d’Ecus à Kigali, et l’envoi d’observateurs sur la situation des droits de l’Homme.

La France a été contrainte, un temps, de céder aux critiques internationales, et notamment à celles de ses partenaires européens. C’était à contre-coeur. Le 18 décembre 1994 à Brazzaville, Bernard Debré lui-même subordonnait au retour des réfugiés et à l’organisation d’élections la reprise de l’aide française au Rwanda. C’était renvoyer cette aide à une ou plusieurs années, et se permettre d’éprouver, d’ici là, la possibilité du pire. Neuf mois plus tard, le Président du Rwanda Pasteur Bizimungu déclarait :

" Nous attendions de tous les Etats qui ont eu une responsabilité dans le génocide qu’ils nous aident à tourner la page. Or, certains de ces Etats ne font que célébrer et entretenir le fossé qui s’est créé entre les Rwandais du fait du génocide. A plusieurs reprises, nous avons dépêché à Paris notre ministre des Affaires étrangères pour essayer d’arrondir les angles. Pourtant, dans les réunions internationales où il est question de réunir les fonds pour la reconstruction du pays, la France nous enfonce au lieu de nous apporter son concours (62)".


60. Le prochain cauchemar du Rwanda, in The Washington Post du 20/11/94.

61. Contribution au Monde du 11/11/94.

62. Interview à La Croix du 29/09/95.

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