Survie

Conclusion : quand les bornes sont franchies, il n’y a plus de limites...

Publié le 7 novembre 1996

La perspective de ce dossier, comme des précédents, n’est pas, bien au contraire, d’interdire à la France d’avoir une politique en Afrique. Ni même d’exiger qu’elle soit parfaitement cohérente, ce qui serait inhumain. Nous demandons seulement qu’elle en débatte et choisisse une, présentable aux pays africains (aux gouvernements, mais aussi aux populations) avec lesquels nous prétendons coopérer, et de limiter suffisamment la distance entre le discours et les actes pour qu’un Français ordinaire, sans scrupules démesurés, puisse n’en pas être honteux dans ses relations avec des Africains.

Ce n’est pas le cas aujourd’hui, parce que les frontières mêmes du politique semblent avoir cédé. Art d’un vivre ensemble, même conflictuel et imparfait, le politique est radicalement nié par le génocide et les crimes contre l’humanité. La banalisation ou la tolérance à leur égard décrédibilisent totalement le discours de ceux qui y cèdent - en espérant qu’elles ne reviennent pas en boomerang. Si l’on cherche de nouvelles frontières, de nouveaux clivages, de " nouveaux ennemis ", les voilà : les adeptes de la bataille politique contre ceux de l’extermination, et leurs alliés négationnistes. Or, au Rwanda, la Françafrique (largement souterraine) a préféré le Hutu power à ceux qui se battaient pour une application convenable des accords d’Arusha ; au Soudan, la France couvre de son image (écornée) de " patrie des droits de l’homme " un régime partisan d’une guerre d’extermination ; au Tchad, par habitude, désintérêt ou faux calculs, elle laisse détruire l’acte de naissance de la politique tchadienne, contre le consortium des " seigneurs de la guerre " : la Conférence nationale.

Sans garde-fous, sans principes incontestés, l’on comprend que les hommes de l’ombre, déjà habitués à des comportements hors normes, se laissent aller à des alliances contre nature. Le problème n’est pas qu’ils aient des contacts au Soudan, mais qu’ils puissent vendre les opportunités qui en découlent à des responsables politiques qui sont trop heureux de les acheter. Noubas ? Connais pas. Le problème n’est pas que les services échafaudent des schémas préhistoriques, mais qu’il n’existe rien pour filtrer leur propagation. Il ne suffit pas de déceler le syndrome de Fachoda, et de montrer sa stupidité : encore faut-il rencontrer des hommes, des institutions ou des courants de pensée disposés à y résister.

On se plaint fréquemment des effets ravageurs d’une dérégulation économique sans limites. Les égarements de la Françafrique s’inscrivent, eux, dans un contexte de dérégulation politique, contre laquelle la Ve République paraît aujourd’hui bien désarmée. Son fondateur était aussi l’homme de la Résistance et de la lutte contre le nazisme - vertus fondatrices qui compensaient la faiblesse du débat et des contrôles démocratiques. Elles sont désormais trop enfouies pour qu’on puisse se passer de réactiver ces contrôles et ce débat.

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