Ne voilà-t-il pas que le Ministre de l’Intérieur, Nicolas Sarkozy, qui ne manque pas d’air, a décidé d’aller prêcher en Afrique pour sa loi sur, ou plutôt contre l’immigration.
Il aurait pu aller le faire en Ukraine ou en Roumanie, mais non. Il avait annoncé une étape au Liberia, qui n’a pas eu lieu, et on dit que Dakar a décliné l’honneur de sa venue, non que Wade ne soit de ses amis, mais, vu l’impopularité croissante de ce dernier, il devait craindre, plus que tout, les réactions négatives des Sénégalais.
Désormais il faudra compter en Afrique avec l’opinion de l’électorat, là où peuvent se dérouler des élections tant soit peu libres, bien sûr. Le jour même où sa loi était votée à l’Assemblée, Sarkozy est donc allé au Mali et au Bénin, où sa venue a déchaîné une indignation prévisible, dont certains échos ont réussi à percer les rangs serrés des policiers, et les pancartes hostiles ont remplacé à l’écran les haies d’Africains riants, traditionnellement déployés sur le parcours des politiciens français en virée africaine. On peut penser que ces images ont été programmées pour être électoralement payantes.
Aminata Traoré ne s’y est pas trompée. Son unique but, a-t-elle déclaré, est d’envoyer « un signal fort à la frange de l’électorat français à qui les politiciens en manque de vision et de projet d’avenir ont l’habitude de vendre la peur et la haine des étrangers, et plus particulièrement, les Noirs et les Arabes » (Propos cités par Serge-Henri Malet, L’humanité, 20/05). Le discours de politique africaine, à usage français, médiatisé à cette occasion est double : d’une part une vertueuse dénonciation des pratiques antérieures, réduites du reste à des « scories », qu’il oublie de faire remonter à De Gaulle, salué au contraire pour « ses qualités visionnaires », pour la France, bien sûr, pas pour l’Afrique. Cela ne mange pas de pain et cela charge le seul Chirac, jamais nommé. On s’étonne seulement, vu l’ancienneté de la carrière politique de Sarkozy, de la nouveauté de ses blâmes. Les agences de presse et les journaux en ont fait leurs gros titres : Sarkozy veut nettoyer la “Françafrique”, « Au Bénin, le ministre prône l’abolition de la politique des réseaux incarnée par Chirac » (Vanessa Schneider, Libération, 20/05), Sarkozy pour une “relation nouvelle” et “transparente” avec l’Afrique (AFP), Sarkozy prône la rupture avec la “Françafrique” (AP). Le ministre a daubé ceux qui prétendent qu’il y aurait « je ne sais quelle incompatibilité entre l’Afrique et la démocratie ».
Mais il y a eu aussi un tout autre discours, beaucoup moins répercuté, cyniquement falsificateur, dénonçant de prétendus « fantasmes » ou « mythes », étalant ses contradictions : « Il n’existe plus de compagnie minière française ». Areva au Niger pour l’uranium, Bouygues au Mali pour l’or, c’est des Martiens ? « Les deux pays africains où Total réalise l’essentiel de sa production sont le Nigeria et l’Angola ». Le Nigeria ne fournit que 3 % du pétrole que la France achète. Sur les 19 % achetés en Afrique, 10 % le sont à l’Algérie et la Lybie. Pour le Nigeria et l’Angola, premier et deuxième producteurs de pétrole du continent africain, les achats français ont un poids négligeable. Par contre les 5 % restants représentent la quasi totalité de la production au Gabon, au Congo Brazzaville et au Cameroun. Là, Elf/Total règne en maître, sur les prix et sur les commissions, en complicité avec les dictateurs locaux. Quand Sarkozy affirme que « les entreprises françaises présentes en Afrique sont surtout spécialisées dans les services », il pourrait préciser que ces services couvrent notamment les domaines essentiels des transports, aériens, maritimes et terrestres et que, si Air-France fait l’essentiel de ses bénéfices en Afrique, c’est grâce à une position de quasi-monopole qui doit plus à la politique qu’à la compétitivité. Aussi, lorsque Sarkozy répond à l’interpellation d’une Malienne que « La France, économiquement, n’a pas besoin de l’Afrique », il avance avec arrogance une contre-vérité patente.
Comment affirmer qu’on encourage, contre la dictature, « ceux qui luttent pour la démocratie » et présenter, en même temps, la présence militaire française comme une « aide », alors que cette aide militaire vient de maintenir un dictateur en place ? Escamotage du passé, évitement du présent, le discours de Sarkozy n’avait aucun intérêt. Quant au gros morceau, le torrent des phrases creuses aurait pu tenir en trois mots « restez chez vous ! ».
On en reparlera.