Survie

Accès aux génériques : le joker européen.

Bruxelles en appelle à l’Organisation mondiale de la santé. Fureur des ONG.

Publié le 10 janvier 2003 - Victor Sègre

Libération, France, 10 janvier 2003.

L’Union européenne tente de reprendre la main sur le dossier le plus brûlant de la mondialisation : l’accès des pays pauvres aux médicaments. Jugeant l’impasse actuelle « inacceptable », Pascal Lamy, le commissaire européen au Commerce, a sorti hier un lapin de son chapeau : l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Il propose, avant la reprise des négociations au sein de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), le 10 février, que l’OMS élabore la liste des maladies pouvant être traitées avec des génériques.

L’équation est simple, meurtrière : plus que jamais, les médicaments abondent au Nord tandis que les malades meurent au Sud. Pour ne prendre que l’Afrique, 15 millions de personnes meurent chaque année faute de médicaments. Et, quotidiennement, 7 000 personnes meurent de la malaria, 6 000 du sida. « Un crime contre l’humanité », a pu dire le directeur exécutif du Fonds mondial contre les pandémies, Richard Feachem (Libération du 30/11/2002). Il continue à se dérouler sous nos yeux.

Depuis la conférence de l’OMC à Doha en novembre 2001, les pays producteurs de copies de médicaments (génériques), comme l’Inde ou le Brésil, peuvent couvrir leur marché national. Une solution devait être trouvée, au plus tard fin 2002, pour l’immense majorité des pays pauvres : ceux qui n’ont pas de capacité de production et qui doivent recourir à des importations de copies bon marché. Las. Le compromis, laborieusement accouché par l’ambassadeur mexicain Eduardo Perez-Motta, a été recalé le 16 décembre à l’OMC, par les Etats-Unis. Sous la pression des firmes pharmaceutiques, Washington souhaitait limiter les génériques aux trois pandémies (sida, malaria, tuberculose) ainsi qu’à dix-neuf autres maladies transmissibles. Un revirement après la déclaration de Doha. Celle-ci affirmait que les brevets ne devaient pas empêcher les Etats de recourir, en cas d’urgence sanitaire, aux génériques pour surmonter toute « épidémie ».

Les Etats-Unis ont tenu seuls contre tous ; l’Europe, elle, n’a pas brillé par son courage. Elle était loin, par exemple, des positions françaises, plus favorables aux pays du Sud. Mais il lui fallait politiquement relancer les discussions. Fustigeant « l’unilatéralisme » américain, Pascal Lamy propose donc que l’OMS joue les arbitres en cas de litiges sur les maladies couvertes. A elle de décider, si oui ou non, une maladie constitue un problème de santé publique. L’OMS est gênée de se retrouver au centre des débats après avoir été cantonnée sur la touche des négociations (elle ne jouit que d’un statut d’observateur à l’OMC). Elle hésite. Bien sûr, elle met à jour une liste des médicaments essentiels prioritaires à utiliser dans les politiques nationales de santé. Mais pas question de dresser, dit l’un de ses représentants (lire ci-dessous), une liste limitative.

Les ONG, elles, sont furieuses. « Le joker de Lamy est un marché de dupes, fustige Céline Charveriat, responsable d’Oxfam à Genève. En acceptant de dresser une liste limitative, l’Europe se couche devant les Etats-Unis et les labos. » Elle dit aussi : « Aujourd’hui, l’Europe peut fabriquer des génériques pour n’importe quel motif de santé publique. Le Burundi, lui devra mendier à l’OMS pour se voir accorder des génériques. » Le Kenya a déjà fait savoir qu’il ne signerait pas un tel compromis.

Par Christian LOSSON

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