Survie

Ecolotissement

Publié le 14 janvier 2006 - Victor Sègre

Libération, France, 14 janvier 2006.

Au sud de Londres, BedZed, zone d’habitat écologique la plus vaste du Royaume-Uni, attire curieux et spécialistes. Un concept qui pourrait essaimer dans le monde entier.

Un air de paquebot avachi dans l’herbe, des vitres à damier photovoltaïque, des cheminées rondelettes et colorées se détachant sur le ciel bleu et glacial de Beddington, en banlieue sud de Londres : Beddington Zero Energy Development (BedZed) est devenu la zone d’habitat écologique la plus vaste du Royaume-Uni. Comme l’indique son nom, ce lotissement écologiquement correct n’utilise aucune énergie fossile et n’émet aucun gaz à effet de serre. Un véritable modèle grandeur nature pour tous ceux qui veulent réduire la contribution au réchauffement climatique du secteur du bâtiment. Dans la chasse aux gaz à effet de serre, ce secteur est un gibier de choix. En France par exemple, logements et bâtiments tertiaires sont à l’origine de 18 % des émissions de CO2, plus d’une demi-tonne de carbone par an et par personne (source Plan climat 2004). Avec zéro kilo d’émissions de CO2, BedZed est donc la coqueluche de l’habitat écolo. Mi-novembre, une délégation d’associations et d’élus du XIIIe arrondissement de Paris est allée visiter ce quartier très british, promenade organisée par les Amis de l’Ecozac, une association qui demande la « réalisation d’un projet écologiquement exemplaire » pour la zone d’aménagement concerté du XIIIe, (dite ZAC de Rungis), encore en friche.

Les grandes lignes du chantier parisien sont arrêtées : ses trois hectares accueilleront une crèche, une maison d’aide aux personnes âgées, des appartements et des bureaux, au total 40 000 mètres carrés de bâti. Mais le cahier des charges est encore à l’étude... « Les dés ne sont pas jetés car nous comptons nous inspirer des démarches faites ailleurs », explique-t-on à la société d’économie mixte d’aménagement de Paris (Semapa). En matière d’énergie, par exemple, la Semapa n’exclut pas l’usage du photovoltaïque, du chauffage au bois ou de la géothermie... « Il faut que ces choix soient cohérents et qu’ils correspondent au fonctionnement de la ville de Paris. »

Une vertu écologique

BedZed attire les élus du monde entier, les étudiants en architecture, les associations locales et des curieux... Ils défilent à l’occasion de deux visites hebdomadaires. Au point que les habitants, installés chez eux depuis 2002, ont dû poser de larges rideaux pour se soustraire aux regards indiscrets. Chaque visiteur paye (45 euros) la visite de l’appartement témoin et la rencontre avec un architecte. « Le principe du Zero Energy Development (ZED) est simplissime : en choisissant judicieusement l’orientation solaire du bâtiment, en privilégiant une excellente isolation et en calculant précisément la masse thermique du bâtiment, on a besoin de moins d’énergie », explique Leigh Bowen, un des jeunes architectes du projet. « Ce besoin moindre peut être assuré grâce à des énergies renouvelables. » « En moyenne, un logement ancien consomme 200 kWh/an/m2. Dans le neuf, on atteint 100 kWh/an/m2. Avec un principe tel que BedZed, on peut descendre à 20 kWh/an/m2 », affirme Philippe Bovet, membre des Amis de l’Ecozac. Outre la vertu écologique de cette approche, elle permet donc des économies substantielles pour les habitants et pour la collectivité.

Chambres au rez-de-chaussée

En deux heures de visite, la petite délégation passe tout en revue : les toilettes, l’ameublement, les matériaux, les grands systèmes (chauffage, électricité, épuration). Et constate que le site fourmille d’idées. Contrairement à ce qu’on trouve dans une maison traditionnelle, ici, chambres et salle de bains se trouvent au rez-de-chaussée, tandis que les pièces à vivre (salle à manger, salon, cuisine) sont au premier pour profiter au mieux de la lumière naturelle. De grandes baies vitrées permettent au soleil d’inonder les pièces. A l’extérieur, le thermomètre affiche 0 °C, mais à l’intérieur des maisons, il fait bon. « Il n’y a pas de chauffage central, car 90 % des besoins en chauffage ont été réduits par l’isolation : les fenêtres installées au nord sont à triple vitrage, celles orientées vers le sud à double vitrage », détaille Angela Roberts, qui conduit la visite. L’isolation des murs est assurée par des sandwichs de briques à la laine de roche de trente centimètres d’épaisseur. Le sol de la véranda au rez-de-chaussée est recouvert de carrelages qui absorbent et restituent la chaleur passive du soleil. Ils contribuent à eux seuls à 30 % des besoins de réchauffement de l’espace. Dans la cuisine, les équipements électroménagers sont tous classés A, c’est-à-dire peu gloutons en kilowattheures. Certains vitrages intègrent des cellules photovoltaïques, comme les toits pour une surface totale de 777 mètres carrés de panneaux solaires. Une chaudière à bois commune, planquée sous un hangar complète le dispositif en cas de besoin -­ on est en Grande-Bretagne. Autre système astucieux : les échanges d’air froid et d’air chaud dans les cheminées. Deux conduits se juxtaposent : l’air froid entre pendant que l’air chaud sort, ce qui provoque une aération naturelle et un échange thermique au passage.

Dans la salle de bains, les robinets de douche ou de lavabo utilisent un système par injection d’air : pour un même jet, cela permet de consommer moins d’eau. La chasse au gaspi est organisée jusque dans les toilettes, où les chasses d’eau relâchent 2 à 4 litres selon les besoins. « Dans un appartement, entre un cinquième et un tiers de la consommation en eau part dans les toilettes », détaille le Centre d’information sur l’eau (Cieau). A BedZed, cette eau vient du ciel ou... des toilettes elles-mêmes, après traitement par une « machine vivante » : sept bassins reliés entre eux, bourrés de microbes et de plantes qui épurent les eaux usées des habitants. Une partie des toits est en outre recouverte de sedum, plante grasse qui absorbe beaucoup d’eau. « Sa présence améliore la biodiversité du lotissement », précise Angela. Une dizaine d’espèces d’araignées y ont élu domicile. BedZed n’accorde qu’une place restreinte à l’automobile. Dans un lotissement classique, les 82 appartements et quelques bureaux auraient entraîné la construction de 160 places de parking, mais à Beddington on a préféré réduire la dépendance à la voiture et privilégier les espaces verts. Une centaine de places de parking seulement ont été construites, et un système de partage des véhicules organisé. Trois, dont deux électriques, sont à la disposition de tous, via un système de réservation centralisé.

Rayonnement médiatique

Le concept BedZed peut-il essaimer hors du Royaume-Uni ? Le cabinet d’architectes Bill Dunster en est si convaincu qu’il décline désormais à l’envi le concept Zed (en maison individuelle ou en grand ensemble) sur tous les continents, de la Chine, où un complexe d’immeubles est à l’étude, à l’Australie... Les concepteurs avouent un surcoût de 30 % à la construction. Mais les investissements sont rentabilisés assez vite, assurent-ils : au bout de douze ans, par exemple, pour le photovoltaïque. « Il faut aussi savoir que les gens sont prêts à débourser un peu plus pour vivre dans un système qui diminue leur empreinte écologique », tempère Leigh Bowen. Sans compter le rayonnement médiatique que le projet a apporté à Beddington auprès des urbanistes et des collectivités du monde entier. Pour les Amis de l’Ecozac, BedZed est un modèle dont on devrait s’inspirer pour toutes les nouvelles constructions urbaines. « Mais les instances décisionnaires en France ne connaissent pas forcément l’existence de ces solutions exemplaires », déplore Philippe Bovet. Pour ce journaliste, « notre rôle est de prendre le politique au mot ». La mairie du XIIIe s’est engagée à assurer un développement durable, et tout le monde se gargarise du concept. La ZAC de Rungis pourrait être l’occasion de transformer ces voeux pieux en une réalisation concrète.

par Laure NOUALHAT, envoyée spéciale à Beddington

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