Survie

L’Afrique du Sud laisse le champ libre aux OGM

La souplesse de sa législation attire les firmes spécialisées.

Publié le 11 juin 2003 - Sharon Courtoux

Libération, France, 11 juin 2003.

Les multinationales américaines des biotechnologies ont trouvé un petit paradis : l’Afrique du Sud, qu’elles convoitent pour son climat, son potentiel agricole, mais aussi pour la souplesse de sa législation. Depuis 2001, seuls le coton et le maïs jaune transgéniques y étaient cultivés. Le pays sera, cette année, le premier au monde à commercialiser du maïs blanc génétiquement modifié. Trois sociétés ont fourni les semences de la première récolte : Monsanto, Pioneer et Pannar Seeds. Plusieurs expérimentations sont, par ailleurs, en cours à travers le pays sur du maïs, du blé et du soja, mais aussi sur des patates douces, des pommes et des tomates génétiquement modifiées.

Etiquetage. Les OGM (organismes génétiquement modifiés) ont connu un essor rapide en Afrique du Sud depuis l’entrée en vigueur, en décembre 1999, d’une nouvelle loi. Certes, les récoltes OGM et conventionnelles ne sont pas mélangées, comme aux Etats-Unis, dans les mêmes silos. La législation, cependant, ne prévoit pas d’étiquetage particulier. « Le maïs blanc qui sera produit cette année ne sera pas différencié, regrette Haidee Swanby, de l’association sud-africaine Biowatch. La vente non annoncée et non étiquetée de maïs OGM violera d’abord les droits des pauvres en Afrique du Sud, puisque le maïs est leur aliment de base. » Et Biowatch de faire pression sur le gouvernement pour qu’il modifie la loi et s’entoure, comme l’Union européenne, du fameux principe de précaution.

Un autre tollé a été provoqué par l’introduction d’un nouveau type de coton, produit par le groupe américain Stoneville Pedigreed Seed Company. Deux sites ont été choisis dans la province du Limpopo, au nord du pays, pour cultiver à contre-saison des graines. « Aucune information n’est disponible sur ce type de coton, qui n’est cultivé nulle part ailleurs dans le monde », dénonce Glenn Ashton de l’ONG sud-africaine Safeage. De son côté, Monsanto rappelle que ce coton n’a pas eu besoin d’autorisation spéciale aux Etats-Unis. Il provient en effet d’un croisement entre deux variétés transgéniques déjà autorisées : le Bollgard II (comprenant deux gènes résistants aux insectes) et le Roundup Ready (comprenant un gène résistant à l’herbicide du même nom produit par Monsanto). Pour la multinationale américaine, qui dispose d’un siège à Johannesburg, l’Afrique du Sud est une étape clé de la pénétration des OGM en Afrique. Des produits sont déjà vendus au Kenya, en Tanzanie et en Ouganda, et présentés comme la solution « durable » contre la faim. Monsanto emploie 200 personnes en Afrique du Sud, sur un total de 2 900 employés en Afrique subsaharienne.

Dons de semence. Les fermiers sud-africains adoptent volontiers les OGM dont ils soulignent l’intérêt économique. « Oui, les graines OGM sont plus chères, mais les rendements sont bien meilleurs, de l’ordre de 20 % », affirme Jannie van Rensburg, un exploitant de maïs de la province du Gauteng. « Comme on n’a pas d’engrais à acheter, le coût de revient est plus bas qu’avec les graines conventionnelles », poursuit-il. Les fermiers blancs industriels ne sont pas les seuls à y croire. Selon le lobby pro-OGM Africa Bio, basé à Pretoria, 75 % des petits planteurs de coton du pays, majoritairement noirs et concentrés dans la province du Kwazulu Natal, ont planté cette année du coton OGM sur quelque 50 000 hectares. La méthode adoptée par Africa Bio (qui se présente comme une ONG de développement) [1] ? Des dons de semences la première année qui donnent des récoltes susceptibles de financer l’achat de semences la deuxième année. C’est ce lien de dépendance entre de grosses industries du Nord et de petits fermiers du Sud qui fait frémir le Syndicat des fermiers africains (Afu). Cette organisation, qui regroupe de petits exploitants noirs, envisage les OGM comme une nouvelle menace « néo-coloniale ». Les fermiers sont en effet contraints de verser des royalties chaque année à leurs fournisseurs, au titre des droits de propriété intellectuelle. Et ce, pour racheter du maïs plus cher, dont les graines ne donnent qu’une seule récolte à chaque saison.

Par Sabine CESSOU, correspondante à Johannesburg

© Libération

[1Africa Bio est en fait un important consortium formé par Monsanto, Delta and Pine Land, AgrEvo, Novartis, Pioneer Hi-Bred, ainsi que plusieurs institutions de recherche et des producteurs, pour « constituer une voix forte en vue de faire pression sur les autorités publiques en faveur de la biotechnologie et de garantir que des obstacles au commerce non justifiés qui imposent des restrictions à ses Membres ne sont pas établies », cf. N. Opperman, Plans for biotechnology Association for food, feed and fibre sectors, The Farmer, octobre 1999, p. 25.

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