Survie

L’Europe et les Etats-Unis prolongent l’apartheid sanitaire

Publié le 5 mars 2003 - Guillaume Olivier

Extraits tirés du Monde Diplomatique, France, mars 2003.

Quoi de plus urgent, alors que le sida emporte huit mille vies chaque jour, que de vaincre le blocage de l’accès aux traitements ? (...) Comment justifier que des impératifs commerciaux persistent à interdire aux pays du Sud de se procurer des médicaments ? En dépit de la promesse faite par l’Organisation mondiale du commerce à Doha, en novembre 2001, les multinationales pharmaceutiques du Nord livrent une guerre mondiale aux pauvres. Avec la complicité, notamment, des Etats-Unis et de l’Union européenne.

Par James LOVE [1]

(...) Selon les pays riches, dont l’industrie monopolise la quasi-totalité des brevets pharmaceutiques mondiaux, des exceptions aux brevets pouvaient être tolérées pour les médicaments permettant de lutter contre le sida, la tuberculose et le paludisme. Ils y ajoutèrent, pour faire bonne mesure, une poignée de maladies, pour la plupart tropicales et de faible intérêt commercial. Mais ni le cancer, ni le diabète, ni l’asthme, par exemple, ne figurent sur la liste limitative de maladies auxquelles ils veulent désormais restreindre l’accord de Doha.

(...) On allait réduire la liste des pays autorisés à réclamer ces exceptions ; restreindre les technologies auxquelles ils pouvaient prétendre dans le cadre de l’accord ; et créer un ensemble de contraintes légales qu’il serait à la fois complexe et coûteux à mettre en oeuvre, et qui limiterait encore les possibilités de se procurer à bas prix des médicaments sous brevet. Les pays riches avaient, en vérité, conspiré pour dévaloriser - ou détruire - les promesses faites un an plus tôt. (...)

Duplicité de la Commission européenne

(...) Fin décembre 2002, dans les derniers jours de la négociation marathon, et sous la pression du lobby pharmaceutique, Washington sort de son chapeau une liste limitative des maladies concernées par la déclaration.

Cette énumération, qu’aucun critère de santé publique ne vient étayer, fit l’unanimité contre elle : 143 pays sur les 144 membres de l’OMC s’y opposèrent (...). Cela n’empêcha pas M. Lamy de tenter une relance des négociations, le 7 janvier 2003, sur la base d’une liste similaire (...)

Les Etats-Unis et l’Union européenne mettent désormais les pays pauvres face à un choix difficile et cruel : ou bien ils acceptent un accord vicié et complexe, empreint de limitations et de restrictions, qui, au final, ne fonctionnera (mal) que dans une poignée de pays, ou bien ils restent les mains vides. (...)

Aucun indice ne permet, par ailleurs, de penser que les pays en voie de développement abuseront des licences obligatoires. Dans la pratique, c’est même l’inverse qui se produit actuellement, rares étant les pays à oser faire valoir leurs droits, face au risque de mesures d’intimidation et de rétorsion. (...)

Ignorance ou cynisme ?

L’affirmation selon laquelle la pneumonie, le diabète, l’asthme, les maladies cardiaques ou le cancer ne sont pas prioritaires pour les pauvres relève de l’ignorance ou du cynisme : la plupart des morts dues au cancer ont lieu dans les pays pauvres - 80 millions de personnes touchées se trouvent sans accès aux soins ; aux Seychelles, l’hypertension affecte 22 % de la population, à Cuba 30 % ; l’asthme tue 180 000 personnes chaque année, surtout chez les pauvres, et les cas non mortels conduisent à des souffrances importantes chez ceux qui n’ont pas d’accès aux soins. (...) L’Inde a deux fois plus de patients souffrant du diabète que les Etats-Unis (...) Et la dépression immunitaire due au sida rend chaque maladie, même la plus bénigne, potentiellement mortelle.

Pour en savoir plus, lire l’article entier dans le numéro de mars 2003 du Monde Diplomatique.

[1Directeur du Consumer Project on Technology, Washington. www.cptech.org

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