Survie

La forêt « aspire » un tiers des émissions de carbone

Publié le 23 octobre 2002 - Survie

Le Soir, Belgique, 23 octobre 2002.

Le long du parc naturel de l’Albufera, les rizières s’égrènent à une encablure de la Méditerranée. De part et d’autre de la route où s’enfoncent un groupe de chercheurs du réseau CarboEurope, les deux versants du paysage espagnol n’ont (presque) plus de secret pour Franco Miglietta. Leur point commun ? Ce sont des « puits de carbone » qui emprisonnent le CO2, le principal gaz à effet de serre jugé responsable du réchauffement climatique.

Les scientifiques estiment que, globalement, seule la moitié des émissions humaines sont captées par les océans et la couverture végétale. Et cette dernière pourrait piéger davantage de carbone que ce que de récentes études laissaient supposer...

Nos études concluent qu’en Europe, près de 30 % des émissions de carbone sont absorbés par la couverture végétale terrestre, note le biologiste italien. Selon nos mesures, les forêts captent entre 40 et 47 kilos de dioxyde de carbone par hectare. Par comparaison, les champs de riz captent 55 kilos de CO2 par hectare. Mais, au plan alimentaire, il faut tenir compte de ce que l’homme relâche lui-même !

Calcul rapide du chercheur : si une ville de cent kilomètres carrés produit un million et demi de tonnes de CO2 par an, il faudrait une forêt cent fois plus grande que cette ville pour compenser ces émissions. Une figure théorique qui ne tient pas compte d’une quantité de paramètres que s’échine justement à mieux quantifier le réseau CarboEurope.

Afin de prédire le solde carbonique et de mesurer au mieux les capacités de l’écosystème européen, ce projet associe depuis 160 laboratoires de plus de vingt pays. Soutenu financièrement par la Commission, CarboEurope se présente comme un acteur incontournable du « monitoring » à l’heure où les Nations unies se penchent sur les enjeux climatiques mondiaux à New Delhi.

Originalité de la démarche : CarboEurope a développé des instruments permanents de mesure du CO2 et de la pollution dans 39 sites, dont 8 sont situés en dehors de l’Europe.

Des « tours de contrôle », à l’instar de celle enracinée dans la forêt espagnole, scrutent tant les rejets de carbone à la cime des arbres que l’azote contenu dans le sol ou l’analyse de la photosynthèse de la végétation. Les résultats obtenus sont croisés avec les données issues de survols de la canopée par un petit un avion au nez très fin. Un Falcone à plus large rayon d’action complète ce dispositif en analysant les émissions contenues à haute altitude.

Les mesures sont intégrées puis synthétisées dans une structure de modélisation et d’assimilation de données, note Riccardo Valentini, professeur à l’université de Tuscia (Italie). Les résultats de nos recherches démontrent que la couverture végétale nettoie globalement 40 % de toutes les émissions. Lorsque l’on replante une forêt, au moins dix années sont nécessaires pour obtenir une balance positive au niveau du carbone. Grâce, notamment, aux expériences menées en Sibérie, nous formulons l’hypothèse que les vieilles forêts captent davantage de carbone et que l’accumulation de carbone dans le sol y augmente de façon exponentielle avec l’âge.

Voilà une affirmation qui bouscule joliment certaines études. Mais elle devra être nuancée par un autre constat moins optimiste des chercheurs européens : dans un climat changeant plus sec, les forêts amazoniennes orientales risquent de perdre leur capacité à agir comme puits de carbone. Cette conclusion est issue d’une expérience menée par CarboEurope, qui a simulé les effets du phénomène climatique El Niño en préservant des pluies les sols d’un hectare de ces forêts pluviales. Cela n’enlève rien à la conviction de CarboEurope : quelque 30 % du carbone restent dans le sol pour une durée de vie de 30 à 100 ans ! Et, ponctue Valentini, parfois même pour plusieurs milliers d’années !

Autrement dit, la préservation et l’entretien des forêts anciennes sont une priorité pour lutter contre le réchauffement...

Christophe SCHOUNE, envoyé spécial, VALENCE

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