Survie

La justice planétaire pose ses bases.

La Cour pénale internationale à LA HAYE sera opérationnelle le 11 mars.

Publié le 23 décembre 2002 - Survie

Libération, France, 23 décembre 2002.

Maanweg 174, ni l’adresse, ni le bâtiment blanc aux vitres fumées haut d’une quinzaine d’étages à La Haye n’ont encore acquis de notoriété à ce jour. Mais cela ne tardera plus. Officiellement créée le 1er juillet 2002, la Cour pénale internationale (CPI) chargée de sanctionner les auteurs de génocide, de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité, deviendra opérationnelle le 11 mars. D’ici là, entre le 3 et le 7 février, la conférence des 87 Etats-parties se réunira pour choisir les postes clefs du procureur et des juges.

Fièvre. Bruno Cathala, ex-magistrat français, qui s’est frotté à la justice internationale comme greffier adjoint du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY), pilote depuis quelques mois le lancement de cette machine judiciaire aux ambitions planétaires. Des programmes informatiques à la conception de la salle d’audience, le chantier est en pleine fièvre dans un bâtiment, lui-même, en cours d’achèvement. Cette justice mondialisée devra affronter des défis juridiques, politiques et même culturels de taille. Cette dernière dimension est d’autant plus centrale que contrairement au TPIY, les victimes pourront se constituer quasiment en parties civiles. Il est indispensable que quelles que soient leurs origines, elles se reconnaissent dans cette cour.

A ce jour, Bruno Cathala a engagé une vingtaine de collaborateurs, mais leur nombre va augmenter rapidement pour se stabiliser autour des 300. Ce sera le noyau dur d’un « tribunal accordéon ». « Chaque procès ­ mais il y en aura très peu­, nécessitera 300 personnes supplémentaires. Avec trois procès en cours, la CPI aura 1 200 employés, avant que leur nombre ne redescende dès que les procès seront clos », précise le maître d’oeuvre de cette justice.

Bruno Cathala a tiré les leçons de l’extraordinaire laboratoire que fut le TPIY. Il ne veut plus de procès interminable : « Le dossier Milosevic comporte 3,2 millions de pages. Ce n’est ni gérable, ni souhaitable que des procès comme celui de l’ex-président serbe s’étendent sur des années et des années. » Son espoir : limiter leur longueur « à six mois ».

Autre innovation spectaculaire, si elle se réalise : la cour, basée à La Haye, pourrait se délocaliser en fonction des procès. « Imaginez, pure hypothèse, qu’un ex-dignitaire d’un pays du Sud-Est asiatique soit jugé par la CPI. Pourquoi faire venir des dizaines ou des centaines de témoins à La Haye, alors qu’on pourrait le juger à Singapour ? Même chose pour l’Amérique latine ou l’Afrique, la CPI devrait juger les auteurs présumés des crimes là-bas, si les conditions évidemment s’y prêtent. Les bénéfices seraient énormes : les économies financières considérables. Le TPIY a budgété en 2002 de faire venir 600 témoins de l’ex-Yougoslavie. Sachant que le déplacement et la prise en charge reviennent à 1 650 euros par personne, faites le calcul ! L’efficacité politique et juridique de la cour sera aussi bien plus grande à proximité des lieux où les crimes ont été commis », affirme-t-il. Les idées qui jaillissent de l’énergie débordante de Bruno Cathala doivent encore être avalisées par les juges qui ne sont pas forcément des globe-trotters dans l’âme. Quoi qu’il en soit, assure Bruno Cathala, la machine judiciaire sera en tout cas prête à voyager.

L’administration Bush, férocement hostile à la CPI, au nom du respect de sa souveraineté, est venue prendre la température à La Haye. Même un proche du républicain ultraconservateur, Jesse Helms, a fait le déplacement au 174 Maanweg pour observer de ses yeux l’animal juridique en train de naître. « Les Américains sont hostiles à la CPI, c’est vrai, relativise Bruno Cathala, mais puisqu’ils sont en faveur de tribunaux ad hoc, ils pourraient ponctuellement soutenir notre cour. » Voeu pieu ou analyse réaliste ?

A ce jour, sans que le bureau du procureur ait la moindre existence, quelque 150 plaintes ont été déposées. « Certaines sérieuses, d’autres plus fantaisistes », note Bruno Cathala. Les grandes organisations des droits de l’homme attendent la nomination du procureur et le 11 mars pour déposer des dossiers « bétonnés ».

Défis. La première plainte qui sera instruite par la CPI donnera la tonalité de la cour. Le choix des juges pèsera lourd. Pour l’instant, des plaintes très documentées sur des crimes commis en République démocratique du Congo et en Colombie sont en train d’être élaborées. Des crimes commis en Côte-d’Ivoire pourraient eux aussi faire l’objet d’une instruction, mais il faudrait que le Conseil de sécurité, y compris les Etats-Unis, décide de saisir la cour, puisque la Côte-d’Ivoire n’a pas ratifié les statuts de la CPI. Pour la cour en voie de création, les défis sont considérables. Et beaucoup dépendra de la propension des Etats à collaborer avec elle.

Par Pierre HAZAN, La Haye envoyé spécial.

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