Survie

Le projet de RIF : le contrat social français à la dérive ?

Publié le novembre 2003 - Survie

Le rêve des armateurs européens, et notamment français, de bénéficier des avantages d’un pavillon national tout
en se pliant aux lois de concurrence sauvages de l’espace complaisant international, se réalise par étapes. A cet
égard, le projet de nouveau Registre international français (RIF) serait pour nous la prochaine.

Les pavillons-bis français dits « Kerguelen » et « Wallis-et-Futuna » manquent de souplesse aux yeux des
armateurs et ne les satisfont plus. Le RIF, destiné à les remplacer pour les navires de commerce, devrait faire
sauter quelques verrous supplémentaires. La "loi Richemont" [1], proposition déposée le 30 octobre au Sénat,
permet enfin de comprendre les lignes de force de ce projet longuement mijoté.

D’abord, on neutralise le droit français


Article 3 de la proposition de loi RIF

En matière de droit du travail, de droit syndical et de sécurité sociale, les navigants employés à bord des navires
immatriculés au registre international français sont soumis aux seules dispositions qui leur sont expressément applicables de par la présente loi, dans le respect des engagements internationaux et communautaires de la France.


Balayées, toutes les composantes essentielles du contrat social français, général et maritime (Code du
Travail...). Remplacées par quoi ? Les quelques pages de cette loi ainsi qu’une référence vague à des
engagements internationaux que la France n’a pas encore pris [2]. A qui croirait, malgré l’article 3, que ce qui n’est pas prévu ici est du ressort de la loi française, une simple phrase au bas de l’article 7 enlève cette illusion : "Les dispositions non déterminées par la présente loi relèvent du contrat d’engagement."

Puis on offre aux marins un véritable retour en arrière !

En effet, sur cette table rase, on offre aux marins un patchwork de clauses imprécises et de quelques normes
minimales, extraites de conventions de l’OIT, et qui vont se substituer aux conditions plus favorables du droit
français.

Si cette loi est acceptée en l’état, la semaine légale de travail retourne aux 48 heures d’avant 1936, les fêtes
légales deviennent contractuelles, le SMIC disparaît (art.12) au profit du salaire minimum maritime du Bureau
international du travail (variable par pays : 362 $ pour la France à janvier 2000). La protection sociale
spécifique des marins ne concerne plus qu’une petite minorité française
(même pas tous), dont l’emploi est
de ce fait menacé. Quant au droit syndical, exclu par l’article 3, il est inexistant par la suite.

D’autre part, une telle loi consacrerait un certain nombre de pratiques destructrices de l’ordre social, dont
la complaisance a puissamment favorisé le développement dans l’espace international :

 La généralisation du recours à des marchands de main d’oeuvre ou "sociétés de manning", acheteurs
d’hommes et de femmes au fil des engagements demandés par les armateurs, lesquels n’ont plus de contrat
direct avec les marins. Ces marchands très spéciaux sont explicitement intronisés par la proposition de loi sous
le terme d’ "entreprises de travail maritime".

 La discrimination à l’embauche, dans l’emploi, dans les couvertures sociales... Cette discrimination déjà
ancienne et pratiquée ouvertement par origines nationales appelle toutes les autres : sexuelle [3], syndicale (listes
noires)...

[1Proposition de loi présentée par le sénateur Henri de Richemont, déjà auteur d’un rapport réalisé sur demande du Premier ministre.

[2La France a ratifié la convention de l’OIT n°147 de 1976 qui pose des normes a minima dans la marine marchande. Elle n’a par contre toujours pas ratifié les conventions de l’OIT allant plus loin (conventions n°163, 166, 178, 179, 180).

[3Rapport "Women Seafarers" - Global Employment Policies and Practices, BIT, 2003.

a lire aussi