Survie

Le Sommet mondial de la société de l’information (SMSI) : une preuve supplémentaire de l’inexistence de toutes fondations d’une gouvernance mondiale, de toute vision du devenir de l’humanité.

Publié le 7 novembre 2005 - Djilali Benamrane

Par Djilali Benamrane - économiste -, responsable dans l’Association Biens publics à l’échelle mondiale - BPEM www.bpem.org

L’assemblée générale des Nations-unies a tenu comme à son habitude et en grande pompe, en septembre dernier à New York sa rencontre annuelle. Des dizaines de chefs d’Etat et de gouvernement ont pris part aux travaux, avec tous les honneurs dus à leur statut. Pour la circonstance, les enjeux semblaient d’importance, à l’ordre du jour figurait le lancinant cauchemar de la réforme de l’ONU. Le conseil de sécurité, la pierre angulaire de l’édifice, a mal résisté aux transformations profondes du monde tout au long de la seconde moitié du XX ieme siècle et fait l’objet de contestations profondes quant à sa composition, son mandat et ses modalités de fonctionnement. Les Agences du système onusien connaissent des lacunes et des dysfonctionnements de même nature, voire pire. Sur le terrain, par représentations locales, programmes et projets interposés, elles se livrent un combat sans merci pour une survie hypothétique. Fautes de ressources suffisantes et sures, elles goûtent, elles aussi, aux aléas des incertitudes et de la précarité et adaptent leurs missions aux slogans à la mode : productivité, réduction des effectifs, autoévaluation des personnels, concurrence interagences, privatisation de pans entiers des moyens de fonctionnement. Cela se fait subrepticement, discrètement, intelligemment, savamment orchestré par un patron, un secrétaire général militant pour le renforcement des lois du marché, pour la domination du secteur privé et des sociétés multinationales au détriment des Etats et des populations. Force est de constater que l’Assemblée générale de l’ONU n’a pas fait progresser le dossier de réforme d’un pouce et le Conseil de sécurité continuera à sévir avec la même composition, le même mandat et les mêmes modalités de fonctionnement.... Les Agences continueront pour leur part à vivoter dans l’opacité quant à leur devenir.

Le SMSI baigne dans ce climat délétère et concentre à lui seul toutes les frustrations, tous les avatars d’un système en pleine déconfiture. Se distinguant des précédents sommets mondiaux, le SMSI a été conçu en deux phases, l’une à Genève en 2003, l’autre à Tunis en 2005. Il a le premier expérimenté le "Global compact" cher au Secrétaire Général de l’ONU et le partenariat public privé (PPP), promu remède magique à tous les maux.

C’est en effet par un tour de magie, digne des contes de jadis, qu’on fait croire aujourd’hui, que les débats sur les enjeux mondiaux ne sont plus le fait des seuls États et organisations intergouvernementales (onusiennes et autres), mais qu’il intègre la société civile et les opérateurs privés, ces derniers dignement représentés par les multinationales super puissantes, instruments des ambitions de la haute finance.

Certains peuvent considérer que malgré les apparences, des progrès significatifs auraient été accomplis par la société civile dont des milliers de représentants ont participé aux trois commissions préparatoires (PREPCOM)et aux centaines de manifestations régionales ou thématiques, organisées à grands frais en prélude à chacune des phases de Genève et de Tunis. Venant des différents continents et sensés défendre les intérêts des différentes composantes de la population mondiale, les représentants de la société civile, auront, pour certains d’entre eux, sortis pour une rare fois de leurs brousses, de leur douar et ou de leurs favellas, fait les fantastiques pèlerinages de Genève et de Tunis. Ils auront côtoyé, plus dans les couloirs que dans des salles de travail et de débats à entrée sélective, de hauts et d’illustres dignitaires gouvernementaux et diplomatiques, des magnats de prestigieuses sociétés multinationales, des pontes du système onusiens. Ils se seront aperçus que des représentants de la société civile, en majorité des femmes, critère d’égalité du genre oblige, des anglophones, l’anglais étant depuis longtemps considéré dans les milieux onusiens comme langue de brillance sinon d’intelligence, des nantis nés pour la plupart d’entre eux dans des pays riches et puissants, les pilotent, les dorlotent, les endorment pour les mouler dans un format bon chic bon genre, digne de la mise en scène. Ces leaders de la société civile ont la sublime mission de faire en sorte que la leur composante, tolérée en ces lieux, porte l’habit et adopte des comportements qui siéent en la circonstance. Il est vrai que la quasi-totalité du reste du cheptel n’est là que grâce aux largesses des Etats dominants, des multinationales et des ONG et associations du Nord, à rayonnement international.

Dans un contexte d’une extrême dangerosité de la mondialisation néolibérale dans lequel les pouvoirs de domination plaident pour la dictature du marché, pour de moins en moins d’États, de plus en plus d’intérêts privés motivés par le seul gain de profits faciles et conséquents, la société civile en faisant son apprentissage difficile sert d’alibi pour légitimer la domination du monde par les multinationales. Cette pauvre société civile hétéroclite et dont les débats font ressortir un angélisme surprenant, elle qui sollicite des vedettes pour parler en son nom, qui invite aux très rares conférences de presse qu’on lui consent, des représentants du secteur privé pour montrer la bonne harmonie et l’excellence du partenariat, qui accepte que ses porte-paroles soient tolérés à certaines rencontres d’importance, sensées contribuer aux grandes décisions du Sommet. Elle est loin d’avoir la capacité et l’expérience pour identifier et gérer ses alliés et ses adversaires et défendre sans complexe les intérêts des populations qu’elle est sensée représenter.

Une situation kafkaïenne qui met en scène un partenariat ou collaboreraient un éléphant impérial (les Etats), un lion dominateur et insatiable (le secteur privé), un mulet corvéable à merci (le système onusien) et une brebis égarée dans une jungle sans lois ni droits (la société civile). D’un sommet mondial de la société de l’information à l’image d’une telle jungle, que peut-on objectivement en attendre ?

Peut-être a-t-on là une explication à posteriori qui expliquerait les raisons pour lesquelles, les grandes associations altermondialistes de lutte pour un nouvel ordre mondial, l’approfondissement des droits de l’homme et l’émergence d’une nouvelle gouvernance globale se sont tenues à l’écart de cette jungle suicidaire.

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