Survie

Le temps des biens publics et mondiaux

Publié le 26 août 2002 - Survie

Libération, France, 26 août 2002.

Cette notion émergente, effet de la mondialisation des périls, peut constituer un nouveau levier politique.

Se développer, et de façon durable ? C’est autant une gageure qu’une nécessité. Au rythme des prélèvements sur les ressources naturelles, qui dépassent les capacités de reconstitution de la Terre, il faudra une planète de rechange dans cinquante ans. Pourtant l’état d’urgence est loin d’être décrété. Les intérêts particuliers et les égoïsmes étatiques l’emportent encore souvent sur les intérêts collectifs, environnementaux ou humains. Depuis le Sommet de Rio il y a dix ans, on est passé du volontarisme de l’enthousiasme au pessimisme de la raison. Le chemin tracé à Rio n’a jamais semblé aussi sinueux et broussailleux. Entre les promesses non tenues, les résolutions non appliquées, les Realpolitik non remisées, difficile de s’attendre à ce que Johannesburg soit à la hauteur de l’enjeu : que les humains du XXIe siècle puissent léguer à leurs enfants une planète viable. Pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, cette transmission de témoin ne va pas de soi. La satisfaction des besoins de la génération présente risque de se faire au prix de la survie des générations à venir.

Dénominateur commun. Pourtant, il y a bien une prise de conscience qu’il existe des biens communs à tous qui se jouent des espaces nationaux et des frontières : des biens publics mondiaux (BPM). Ils sont une sorte de plus petit dénominateur commun de droits dont aucun humain ne devrait, en principe, être privé. Leur définition peut être restrictive : accès à l’eau potable, à un air pur, à une Terre préservée. Ou plus large : santé publique, éducation, sécurité alimentaire. « A l’instar du respect de l’environnement, la lutte contre le sida montre à quel point les intérêts communs apparaissent », explique l’économiste Philippe Hugon. Le combat contre les inégalités peut aussi être un objectif : « Parce que les retombées liées à la pauvreté touchent tous les pays, que ce soit par le biais des migrations ou par celui de la santé », rappelle Katelle Le Goulven, du Programme des Nations unies pour le dévelop- pement (Pnud), une des avocats de la notion de BPM.

Transversalité. Ces biens publics mondiaux sont le produit de la mondialisation autant que de la transversalité des périls : ils soulignent l’interdépendance d’enjeux trop rarement liés entre eux. Il s’agit de les préserver et de mieux les partager. Ils sont aussi un nouveau levier politique pour tenter de lutter contre la privatisation des ressources naturelles. Contre une mondialisation dérégulée, le concept des BPM peut permettre de repenser les outils de coopération et le rôle de la solidarité internationale. Il réintroduit le débat sur l’importance des richesses collectives, la gestion d’un patrimoine commun et le besoin de gouvernance globale. Autrement dit, au marché les biens privés ; au politique ces biens publics que le marché ne peut pas produire. « Le développement durable et le laissez-faire sont incompatibles, résume Riccardo Petrella, conseiller à la Commission européenne. Le développement durable et la montée du libéralisme sont incompatibles. Le développement durable demande une régulation accrue des marchés et la subordination des objectifs économiques à l’impératif social. »

Au-delà de l’appel à repenser les modes de production et de consommation (20 % des humains s’approprient 90 % de la consommation mondiale) se pose la question du financement des BPM. L’idée d’un impôt mondial fait son chemin (taxe sur les spéculations financières pour les uns, les émissions de carbone ou le transport aérien pour les autres). Pour les tenants d’une nouvelle régulation de l’économie, il existe des maux publics mondiaux que le marché seul ne peut éradiquer. Ainsi, le Prix Nobel d’économie Joseph Stiglitz estime-t-il que la finance mondiale, parce qu’elle peut avoir des effets dommageables sur les populations, doit être considérée elle aussi comme un service public mondial. Reste que cette notion des BPM, encore en germe, heurte de front les intérêts des nations, et surtout des plus puissantes. A commencer par les Etats-Unis, dont la frilosité, ou l’indifférence, inquiète les avocats d’un développement (vraiment) durable.

Par Christian LOSSON, Vittorio DE FILIPPIS

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