Survie

Les infortunes de l’or bleu

Publié le 14 janvier 2005 - Survie

L’Humanité, France, 14 janvier 2005.

Sous la pression exercée par les organisations syndicales, Suez est évincé de Bolivie et sanctionné en Argentine pour sa gestion de l’eau.

Les entreprises étrangères, notamment françaises, en Amérique du Sud ne sont pas à la fête. En Bolivie, la pression exercée par les - organisations sociales a contraint le gouvernement du président Carlos Mesa d’annoncer son intention d’annuler le contrat de la filiale de Suez, Aguas del Illimani, présente à La Paz et El Alto. L’éviction de la filiale d’eau de Suez, montrée du doigt pour ses tarifs abusifs, est l’une des principales exigences des habitants d’El Alto, en grève illimitée depuis lundi. Les comités de quartier réclamaient dans le même temps l’annulation du décret relevant le prix des carburants ainsi que la nationalisation du gaz et du pétrole.

Suez Environnement, dépendant de la Lyonnaise des eaux, tout en parlant de « rupture abusive », a fait savoir mercredi qu’elle n’avait reçu aucune notification officielle de la décision de l’annulation de son contrat, considérant au contraire avoir rempli ses engagements, entre autres en matière de tarification, la plus basse du pays, selon le groupe.

Ce bras de fer autour de la gestion de l’eau n’est pas isolé. En Bolivie, il y a maintenant six ans, la privatisation des services de l’eau de la ville de Cochabamba avait déjà provoqué des manifestations populaires après le contrat passé avec la multinationale américaine Bechtel Corp afin de soustraire ces services aux appétits commerciaux.

En Argentine, plusieurs coupures d’eau touchant ces derniers jours Buenos Aires et sa banlieue ont réactualisé les vives critiques formulées depuis plus de deux ans à l’égard d’Aguas Argentinas, et de son actionnaire Suez. Mardi Buenos Aires a annoncé son intention d’appliquer des amendes à plusieurs entreprises françaises, Suez et EDF, espagnole, Endesa, ainsi qu’à l’américaine AES Corp. Motif invoqué : les coupures de service constatées en cette période estivale dans l’approvisionnement en eau et en électricité. Lors d’une conférence de presse le ministre de la Planification, - Julio de Vido, a démenti que ces amendes (500 000 euros pour Suez, 100 000 euros pour la filiale d’EDF, Edenor) puissent compromettre la prochaine rencontre du président Nestor Kirchner avec Jacques Chirac, le 20 janvier, à Paris. Toutefois cette affaire intervient dans un contexte de fortes tensions entre le gouvernement argentin et le groupe français. Celui-ci - réclame une hausse de tarifs, alors que la monnaie argentine a perdu près de 70 % de sa valeur, et inacceptable pour l’Argentine dont la moitié de la population a sombré sous le seuil de pauvreté - depuis trois ans. Le groupe français a porté plainte - devant le tribunal international d’arbitrage de la Banque mondiale. En attendant l’aboutissement de ce recours et de l’intense activité de - lobbying exercée par les groupes ayant des intérêts dans les services publics, nombreux sont ceux qui, en Argentine, réclament aujourd’hui un retour à une gestion publique de l’or bleu.

Bernard Duraud

© L’Humanité

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