Survie

Les OGM peuvent-ils sauver le tiers-monde ?

Publié le 30 juin 2003 - Pierre Caminade

L’Humanité, France, 5 mars 2001.

Tribune libre

Par Marc Dufumier [1]

Les plantes transgéniques peuvent-elles aider les peuples du tiers-monde à résoudre le problème de la faim ? Avec ces nouveaux organismes génétiquement modifiés (OGM), les paysans du Sud pourraient, nous dit-on, produire davantage de céréales et à moindre coût. Mais est ce si simple ?

Fabriquer un OGM, c’est transférer un gène d’une espèce vivante vers une autre, et non plus seulement créer des hybrides entre variétés d’une même espèce. Le problème est que la manipulation se révèle bien coûteuse et les multinationales qui investissent dans la mise au point de tels organismes visent d’abord les marchés solvables du Nord, et non pas ceux des pays du tiers-monde. Les chercheurs, ou du moins leurs employeurs, ont dû se demander quels gènes transférer pour rentabiliser leurs inventions.

Pour l’essentiel, on a surtout transféré des gènes de " résistance " à des insectes " nuisibles " qui, en fait, permettent aux OGM d’émettre eux-mêmes leurs propres insecticides, leur propre toxine. Une deuxième catégorie d’OGM est constituée de plantes résistantes aux herbicides dont les mêmes multinationales sont souvent les producteurs. Seule l’OGM résiste au produit ; et les " mauvaises herbes " sont facilement éliminées. L’utilisation de l’OGM implique donc l’achat de l’herbicide, pour le plus grand profit de la multinationale en question. On a également fabriqué des tomates de longue conservation, produit un riz transgénique enrichi en béta-carotène et des OGM résistants à la sécheresse, à la salinité etc. Enfin, il y a le brevet Terminator, qui empêcherait les producteurs de reproduire eux-mêmes la plante modifiée en prélevant les semences sur leur propre récolte ; mais au vu des réactions hostiles suscitées par ce projet dans l’opinion publique, la multinationale a pris soin de dire qu’elle ne le mettrait pas sur le marché.

Les inquiétudes suscitées par les OGM dans les pays du Nord sont a fortiori valables pour les pays du Sud. Quand on mange un OGM, il faut savoir qu’on ingère un insecticide ou un herbicide. Or, avant de mettre un insecticide sur le marché, on a coutume de faire une évaluation préalable de sa toxicité pour l’homme : rien de tel n’a encore été fait avec les OGM. On ne connaît toujours pas la toxicité réelle des maïs porteurs d’insecticide ! Et la toxine incorporée à la plante ne peut être lavée en aucune façon. En plus, pour vérifier que le gène désiré était bien inséré dans la plante, on lui a souvent associé un gène " marqueur " de résistance à un antibiotique. On nous dit que la probabilité du passage de la résistance à l’antibiotique dans des bactéries intestinales serait infinitésimale. Mais infinitésimale ne veut pas dire nulle.

Pour le tiers-monde, on dit parfois que les OGM viendront compléter les succès de ce qu’on a communément appelé la " révolution verte ", processus au cours duquel on a fabriqué et vendu des variétés de céréales à haut potentiel de rendement à l’hectare, capables de fournir des productions importantes - à condition néanmoins d’utiliser des engrais chimiques et d’autres intrants manufacturés, pour le plus grand profit des sociétés industrielles situées en amont.

En ce qui concerne les OGM, cela se présente apparemment de façon un peu différente : les plantes insecticides ou résistantes aux herbicides ont d’abord été conçues, en théorie, pour permettre de diminuer les coûts de tels produits chimiques ; mais il ne faut pas s’illusionner : le gène de résistance aux herbicides pourrait se disséminer à des mauvaises herbes apparentées ou à des cultures avoisinantes. On ne peut donc exclure la prolifération inconsidérée de mauvaises herbes devenues résistantes à ces herbicides. Et il faudra bien les combattre avec d’autres herbicides.

D’autre part, la prolifération d’insectes nuisibles et résistants aux toxines produites par les OGM n’est pas improbable et peut s’avérer aussi très ennuyeuse. Ne peut-on pas craindre une recrudescence de la faim dans les régions où interviendraient de telles infestations ?

En tout état de cause, ces problèmes écologiques sont bien plus difficiles à contrôler dans les pays du tiers-monde où les populations pauvres ne disposent pas des moyens nécessaires à la mise en place de systèmes d’alerte efficace en cas d’amorce d’une éventuelle prolifération d’insectes parasites. Il nous faut donc penser d’autres approches agronomiques. On peut d’ailleurs s’inspirer des pratiques anti-aléatoires déjà pratiquées par de nombreuses paysanneries du tiers-monde, et par lesquelles plusieurs espèces et variétés aux exigences agro-physiologiques différentes sont cultivées simultanément dans les mêmes champs : on y observe en effet généralement une moindre incidence des maladies et des attaques d’insectes nuisibles.

Un autre problème concerne les risques de perte de biodiversité, déjà commencée avec la " révolution verte ". Quand une variété se révèle plus efficace, on utilise beaucoup moins les autres. Certaines sont même totalement abandonnées et disparaissent peu à peu.

(...)

Le drame est que la recherche agronomique est de plus en plus confisquée, aujourd’hui, par de grandes sociétés transnationales pour qui la soif de profits à court terme importe beaucoup plus que les équilibres écologiques à long terme et le devenir économique et social des paysans. Le vrai problème est que même s’il devient possible de fournir des OGM ne présentant aucun danger écologique ou alimentaire, les multinationales ne vont jamais investir des fortunes pour céder gratuitement leurs résultats à la paysannerie pauvre du tiers-monde.

Je ne dis pas que les multinationales ont fondamentalement envie d’éliminer les petits paysans. Mais c’est encore plus grave : quand elles font de gros investissements, elles s’efforcent de les amortir au plus vite. Pour cela, il leur faut satisfaire les exigences de ceux qui produisent " en grand " (dans les grandes exploitations capitalistes et patronales du Nord), sans considération pour les inconvénients écologiques et alimentaires dont les conséquences néfastes ne sont pas à leur charge. Il en résulte une disparition accélérée des plus petites exploitations paysannes, les moins compétitives, au Nord, et plus encore au Sud, dans des pays où l’absence d’industrie ne permet pas de fournir des emplois aux victimes de l’exode rural.

Ce n’est pas nécessairement l’objectif visé par les gros investisseurs, mais c’est la conséquence inéluctable de leurs calculs. C’est contre un système économique dans lequel les humains ne sont qu’un marché qu’il convient de s’insurger !

Dernier ouvrage paru : les Projets de développement agricole : manuel d’expertise. Karthala, 1996, 354 pages, 160 francs.

[1Professeur à l’Institut National Agronomique Paris-Grignon.

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