Survie

Les trois quarts des eaux en France seront de mauvaise qualité en 2015

Publié le 7 juin 2005 - Survie

Extraits tirés du Figaro, France, 7 juin 2005.

Le professeur Jean-Claude Lefeuvre, du Muséum national d’histoire naturelle (MNHN), a rendu publique hier une étude sur la qualité de l’eau en France. Ce travail (...) remet en perspective le bilan officiel déjà très sombre sur la qualité de l’eau dressé fin 2004 par les Agences de l’eau et les Diren sur l’ensemble du territoire, principalement basé sur le couple nitrates-pesticides. (...) Le rapport insiste sur des « polluants émergents » encore négligés dans les mesures officielles.

Dans l’hypothèse la plus optimiste (...) à peine la moitié des masses d’eau pourront atteindre le « bon état » écologique requis en 2015 si aucune mesure complémentaire par rapport à celles prévues dans la législation n’est prise. Et dans l’hypothèse la plus pessimiste, ce sera seulement un quart de ces masses d’eau. Un autre quart a été classé à risque, 23 % relèvent de la catégorie « doute » et 27 % ont été jugées tellement modifiées qu’elles ne pourront jamais atteindre l’objectif de bon état écologique. Un exemple : en Artois-Picardie, 100% des masses d’eau souterraine, utilisées entre autres pour l’alimentation en eau potable, sont classées à risque.

A ce tableau déjà sombre Jean-Claude Lefeuvre ajoute : « Le bilan officiel est loin de refléter la réalité. Il ne tient pas compte de nombreux polluants émergents et des polluants d’origine microbiologique relevés dans les eaux. » En dehors des éléments habituels utilisés dans l’évaluation tels les nitrates et les pesticides, bien d’autres éléments devraient être pris en considération. C’est le cas de micropolluants venant de 3 000 produits pharmaceutiques utilisés dans l’Union européenne. Ces éléments se retrouvent dans les eaux usées par le biais des urines et des effluents hospitaliers ou agricoles (produits vétérinaires).

Par ailleurs, la présence d’antibiotiques dans les eaux favorise une progression de la résistance bactérienne. C’est le cas des salmonelles, qui ont évolué ces dernières années. Les phtalates, qui aident à donner de la souplesse aux polychlorures de vinyle (PVC) et qui sont utilisés en parfumerie, polluent également. Comme les retardateurs de flamme bromés, employés dans les équipements électriques et électroniques, ils peuvent s’accumuler dans les poissons et se révéler en quantité importante dans les produits alimentaires (...). Enfin, les dioxines provenant du processus de combustion persistent longtemps dans l’environnement (plus de dix ans) et constituent, selon la concentration, une menace pour les animaux et les hommes.

Sur le plan technique, les mesures prises pour lutter contre la pollution ne s’attaquent pas à l’origine du mal. En France, on oublie la prévention qui passe par la remise en cause de l’utilisation des sols et la réhabilitation des talus boisés qui peuvent aider à minimiser les effets de la pollution. Installés en bas de pente, ils peuvent absorber jusqu’à 75% des nitrates. (...) N’accepter la commercialisation que des substances chimiques dont l’effet est connu ou maîtrisé et améliorer le suivi des microtoxines et des micropolluants dans l’eau devient une nécessité. (...)

La directive cadre sur l’eau requiert la consultation du public depuis mai 2005. « Une chance historique pour le public de réclamer un bon état écologique et chimique de l’eau, analyse Jean-Claude Lefeuvre (...). Une meilleure connaissance de la situation permettrait de sensibiliser les pollueurs et de faire prendre au public la mesure des enjeux pour la gestion de l’eau. »

Par Isabelle Brisson

© lefigaro.fr


Ecologie. La qualité des eaux menacée par deux décrets favorables aux industriels.

L’élevage intensif reprend du terrain

Libération, France, le 11 juin 2005.

En préparation depuis plusieurs mois, ils n’ont été rendus publics qu’après le référendum et juste avant la démission du gouvernement Raffarin. Ce sont deux textes concernant les élevages industriels et propres à saper la protection de l’environnement, a dénoncé jeudi l’association Eau et rivières de Bretagne. Deux « assouplissements » signés du ministre de l’Agriculture, Dominique Bussereau, et de l’ex-ministre de l’Ecologie, Serge Lepeltier : un décret du 30 mai et un arrêté du 7 février, publiés le 31 mai dans le Journal officiel.

Fumier. Le décret autorise l’extension des élevages industriels dans les zones d’excédent structurel d’azote lié aux élevages (ZES). C’est-à-dire les 140 cantons français (dont 104 en Bretagne) dont les sols sont surchargés en azote et en phosphore apportés par le fumier et qui polluent les eaux superficielles et souterraines. « Ce sont des zones où la pression du cheptel est trop importante, explique Jean-François Piquot, porte-parole d’Eau et rivières. Des zones où, par ruissellement et infiltration, l’azote et le phosphore parviennent dans les eaux avec des risques pour l’environnement ­ prolifération d’algues vertes sur les plages ­ et pour la santé. »

La Bretagne connaît bien le problème : avec 7 % de la surface agricole utilisée de la France, cette région abrite plus de 50 % des élevages de porcs, plus de 50 % des élevages de volailles et plus de 20 % des élevages de vaches laitières. « Or, en Bretagne, 80 % de l’eau potable provient des ressources superficielles », note Jean-François Piquot.

Depuis 1998, les extensions d’élevages étaient interdites (sauf pour les élevages familiaux) par une circulaire signée Louis Le Pensec et Dominique Voynet. Selon René Louail, porte-parole de la Confédération paysanne et éleveur de poulets en Bretagne : « En annulant cette circulaire très positive, le gouvernement Raffarin a cédé à la pression des groupements porcins et donné un coup de main aux grands éleveurs. »

« Discrédit ». René Louail s’indigne aussi de l’autre texte, révélé par Eau et rivières, qui, selon lui, « discrédite le monde paysan, bafoue consommateurs et contribuables ». Cet arrêté ministériel abaisse de 50 à 15 mètres la limite d’épandage des lisiers par rapport aux maisons et aux campings, lorsque l’exploitant procède à une injection directe du lisier dans le sol. Et réduit de 35 à 10 mètres cette distance d’interdiction par rapport aux rivières lorsqu’une bande enherbée a été créée le long du cours d’eau.

Eau et rivières s’inquiète de ce renforcement annoncé de la pollution des sols et de l’eau. « L’injection directe avec enfouisseur peut diminuer les odeurs, mais pas la contamination bactérienne », regrette Jean-François Piquot. Et les bandes enherbées ne font que limiter le transfert de lisier vers les rivières. « D’un côté, on dépense des millions d’euros pour reconquérir la qualité de l’eau, et de l’autre on annule des règles destinées à protéger l’environnement ! », poursuit-il.

Difficile en effet de trouver une légitimité dans ces nouvelles réglementations. Lundi, un rapport du Muséum d’histoire naturelle montrait que 50 à 75 % des eaux françaises sont très fortement dégradées et les chercheurs stigmatisaient le « couple infernal nitrates-pesticides ». Comment fera la France pour satisfaire à la directive-cadre européenne sur l’eau qui demande aux Etats membres un « bon état » écologique de l’ensemble des eaux en 2015 ? Eau et rivières de Bretagne a décidé de saisir la Cour de justice euro- péenne.

Par Eliane PATRIARCA

©Libération

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