Survie

"Marchandage et discrimination dans la marine"

Publié le 11 novembre 2003 - Survie

L’Humanité, France, 10 novembre 2003.

François Lille, président de Biens publics à l’échelle mondiale (BPEM), ancien marin.

" La marine marchande est un exemple significatif de la santé au travail vue sous l’angle international. Sur un navire, les marins travaillent sous astreinte, en permanence. Le risque d’accident du travail est important, les pathologies mentales liées à l’isolement et à la vie en collectivité fréquentes. Grâce à une force syndicale conséquente, le secteur maritime a été le premier couvert à l’échelle mondiale, grâce à une assistance médicale permanente, et via des conventions internationales qui assuraient une protection égale, complète et gratuite. Toute maladie sur le bateau ou en escale était prise comme maladie professionnelle. Mais c’est une utopie en voie de destruction systématique et accélérée, en raison de l’apparition des pavillons de complaisance, derrière lesquels il n’y a plus d’État, donc plus de lois sociales. Et aujourd’hui, les deux tiers de la charge mondiale est assurée par la complaisance. À cela s’ajoute que l’armateur n’est plus l’embaucheur, il a à sa disposition des marchands d’hommes. Les syndicats sont atomisés par le chantage à l’emploi. Et l’ensemble de la navigation entre dans ce schéma. Le système, déstructuré, se reconstruit autour du marchandage et de la discrimination. Désormais, les flottes sont composées de travailleurs de six ou sept nationalités, employés dans les conditions de leur pays d’origine. L’écart ne se situe pas tant pour eux au niveau des conditions de travail qu’au plan de la couverture sociale et du salaire. Il y a ceux qui gagnent assez pour se payer une protection, et ceux qui, pas assez riches, ne dépendent que de l’assurance minimale des marchands de main-d’oeuvre, qui couvre un peu le voyage, mais pas la famille, ni les soins hors du bateau, en cas de débarquement. En retour, les lois sociales des pays comme la France sont cassées. Une proposition de loi a ainsi été déposée au Sénat pour créer un registre international français aligné sur la complaisance. "

Propos recueillis par Anne-Sophie Stamane

© Journal l’Humanité

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