Survie

Médicaments : blocage à l’OMC

Les Etats membres n’ont plus que trois jours pour signer l’accord sur l’accès aux génériques des pays du Sud.

Publié le 18 décembre 2002 - Sharon Courtoux

Libération, France, 18 décembre 2002.

« Ce n’est pas en une semaine que nous bouclerons un dossier qui est sur la table des négociations depuis un an. » Habitué des tractations internationales, ce diplomate ne croyait pas à l’efficacité de l’appel lancé en fin de semaine dernière par Sergio Marchi, président du conseil général de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Jeudi dernier, celui-ci a en effet accordé un ultime délai de huit jours aux pays membres de l’OMC pour trouver une solution aux problèmes de l’accès des pays pauvres aux médicaments essentiels. A trois jours du délai fixé par l’OMC pour parvenir à un accord, un succès semble encore plus hypothétique. Un nouveau texte a bien été proposé lundi, mais les Etats-Unis, notamment, ne veulent pas en entendre parler. Pourtant, un engagement avait été pris à Doha (Qatar) en novembre 2001, lors de la grand-messe des 145 pays membres de l’OMC. Tous avaient alors reconnu, au terme d’une longue bataille, le droit pour les pays les plus défavorisés d’agir en cas d’urgence sanitaire. Et ce, en dépit des obstacles liés à l’accord sur la propriété intellectuelle qui protège les brevets pharmaceutiques.

Beau principe. A Doha, un grand principe avait été taillé à la mesure des pays du Sud privés d’industries pharmaceutiques, à savoir la majorité d’entre eux. Objectif : leur permettre d’importer des copies de médicaments, nettement moins coûteux que les médicaments brevetés. Tous les pays étaient d’accord sur ce grand et beau principe. Restait juste à le mettre en musique... En définissant une bonne fois pour toutes les règles juridiques pouvant encadrer un « nouvel ordre mondial de la circulation des médicaments ». « Un an. Pas un jour de plus... Au 31 décembre 2002, la question de l’accès des pays pauvres aux médicaments essentiels devra être réglée », avaient promis les ministres des 144 pays membres de l’OMC présents à Doha. Rendez-vous avait été pris à Genève, dans l’enceinte de l’OMC, pour débattre du sujet et trouver de « vraies solutions » contre les fléaux sanitaires, sida, tuberculose ou malaria, qui, chaque année, font 6 millions de morts.

« Mais un an plus tard, nous n’avons pratiquement pas avancé tant les positions sont antinomiques », avoue un expert européen. Il y a pourtant urgence : selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), plus d’un tiers de la population mondiale n’a pas accès aux médicaments essentiels. Ils sont soit trop coûteux (600 dollars annuels pour une trithérapie, à peine moins de 2 dollars par jour, le revenu de 50 % des habitants de la planète), soit inexistants. Mais à Genève, comme à Sydney il y a un mois, lors d’une réunion préparatoire, les discussions patinent. Les Etats-Unis et la Suisse ont fait marche arrière. Ainsi, plus question désormais d’étendre le principe de l’accès aux médicaments dans les pays en développement aux situations sanitaires qui seraient jugées urgentes par leurs gouvernements. Relayant les lobbies surpuissants de l’industrie pharmaceutique, les Etats-Unis et la Suisse tentent de restreindre la liste des pandémies et des pays pour lesquels seraient accordées, au cas par cas, des licences d’importation.

Pouvoir garantir. En affirmant que « la mission conférée à Doha était de trouver des solutions pour les plus pauvres des pauvres dans les régions les plus reculées, Sergio Marchi se met à réécrire la déclaration. Il fait le jeu des multinationales pharmaceutiques », accuse Gaëlle Krikorian d’Act Up Paris. « Alors qu’au contraire la déclaration de Doha reconnaît clairement la gravité des problèmes de santé publique qui touchent de nombreux pays en développement et les pays les moins avancés. »

A Genève, le débat continue d’opposer les tenants d’une protection souple ou rigide des brevets pharmaceutiques. Les labos martèlent leur sempiternel argument de « pouvoir garantir », par le biais des brevets, leur effort de recherche et de développement. « Les pays sans capacité de production pharmaceutique sont pris en tenaille entre les pays du Nord, là où sont localisés les grands labos de la recherche pharmaceutique, et les pays producteurs de copies de médicaments comme l’Inde ou le Brésil, estime un ancien diplomate français en poste à Genève. Tout le monde a tendance à considérer le sujet de l’accès aux médicaments comme une simple opposition entre les méchants labos des pays riches et les généreux pays producteurs de copies que sont le Brésil et l’Inde. Or, la question est mille fois plus compliquée. Ainsi, comment s’assurer que ces pays ne se spécialisent pas dans une industrie de la copie des médicaments découverts par les labos du Nord ? » Directement visés, l’Inde ou le Brésil, qui produisent aujourd’hui des copies de médicaments.

A Genève, on redoute la possibilité de voir des pays certes du Sud, mais relativement riches, comme l’Arabie Saoudite, se mettre à importer des médicaments copiés par des laboratoires brésiliens ou indiens ­donc moins chers­, alors qu’ils ont largement les moyens de les payer plein pot aux laboratoires du Nord.

Type de gouvernance. « Cette négociation à l’OMC, si elle échouait, prouverait à quel point nous souffrons de l’absence d’une structure supranationale dans laquelle peut réellement s’exercer une gouvernance mondiale », ajoute Gaëlle Krikorian. Il faudrait alors s’interroger pour savoir si, oui ou non, une enceinte comme celle de l’OMC, entièrement dédiée et formatée pour les questions commerciales, est la mieux adaptée pour régler des questions aussi sensibles et cruciales que le droit élémentaire à pouvoir se soigner. « La question de l’accès aux médicaments montre toute l’importance des dimensions éthiques, de solidarité, des droits humains qui ne peuvent pas être réglés par une OMC essentiellement préoccupée par la dimension marchande du monde... », remarque Gaëlle Krikorian.

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