Survie

Niger : combien de famines, encore ?, par Jean-Pierre Guengant

Publié le 18 août 2005 - Lounis Aggoun

Extraits tirés du Monde, France, 18 août 2005.

(...) Dans son Histoire des famines au Sahel (L’Harmattan, 1993), Boureima Alpha Gado dénombre, depuis 1900, neuf sécheresses et famines, et huit invasions acridiennes. La famine-pénurie actuelle n’a donc rien d’"exceptionnel".

Ce qui est nouveau, c’est que le système d’alerte précoce mis en place après la "grande famine" de 1972-1973 pour anticiper et éviter les pénuries à la suite d’une mauvaise récolte a bien anticipé la pénurie actuelle, mais que les appels lancés à la communauté internationale dès décembre 2004 n’ont pas été entendus !

Ce qu’on ne dit pas, également, c’est que les systèmes d’alerte mis en place dans les années 1970 et le recours à l’aide d’urgence sont aujourd’hui largement inadaptés.

De fait, depuis 1983, les années lourdement déficitaires sur le plan agricole se sont multipliées au Niger : 1984, 1987, 1989, 1990, 1993 et 1997. Les déficits correspondants ont été comblés en écoulant des stocks, par des dons, des importations et aussi par les privations silencieuses, loin des caméras, des populations souvent réduites à plusieurs jours sans repas. Le Niger est entré, depuis vingt ans, dans une période de déficits céréaliers chroniques, un phénomène qui est largement occulté. Cette situation résulte de trois facteurs connus, mais jamais articulés entre eux : la sécheresse, l’archaïsme des systèmes agraires et la démographie.

La sécheresse : il faut savoir que la récolte de mil et de sorgho, base de l’alimentation des populations sahéliennes, dépend de manière aléatoire d’une douzaine de pluies, entre juillet et septembre, qui ne doivent être ni trop précoces, ni trop espacées, ni trop rapprochées, ni trop fortes. La variabilité de ces paramètres conduit à des récoltes allant du simple au double (...)

Le facteur nouveau, aggravant, est l’irrégularité et la forte diminution des précipitations moyennes observées depuis les années 1970. Les superficies cultivables en mil et sorgho, c’est-à-dire recevant au moins 400 millimètres de pluies par an, niveau en deçà duquel les cultures pluviales ne sont guère envisageables, ont été ainsi réduites de 25 % à 12 % du territoire nigérien !

Les systèmes agraires locaux restent archaïques, avec une faible utilisation du fumier et des engrais, une maîtrise de l’eau insuffisante, et l’utilisation d’outils et d’instruments techniques peu efficients. L’aide de l’Etat à l’équipement des agriculteurs s’est arrêtée en 1983, suite au premier plan d’ajustement structurel, puis les mauvaises récoltes ont réduit à néant les capacités d’achat de matériels et d’intrants des paysans.

(...) Pour répondre aux besoins alimentaires d’une population croissante, les paysans ont (...) multiplié par quatre les superficies cultivées entre 1950 et 2000. (...) Et avec la disparition de la jachère, mécanisme principal de remontée de la fertilité des sols, ceux-ci se sont dégradés : d’où les baisses de rendements observées.

L’agriculture nigérienne reste une agriculture d’autosubsistance, peu productive, incapable de satisfaire les besoins de la population. Elle le sera de moins en moins, compte tenu de la croissance démographique exceptionnelle du pays. Pourtant, la mortalité au Niger reste forte. Mais la fécondité, estimée entre 7 et 8 enfants par femme, l’est aussi, et elle ne montre aucun signe à la baisse.

Ainsi, avec environ 600 000 naissances et 200 000 décès annuels (dont la moitié sont des décès d’enfants), la population du Niger s’accroît de 400 000 personnes par an. Elle a déjà été multipliée par quatre entre 1950 et 2000, et elle atteint aujourd’hui les 12 millions. (...)

Pour l’année 2000, nous avions estimé le déficit tendanciel de la production céréalière nationale à 500 000 tonnes environ, ce qui correspondait à 20 % des besoins. Un tel écart reste gérable dans un environnement favorable. Il tourne à la catastrophe si les pluies sont insuffisantes, mal réparties, etc. Mais les écarts supérieurs croissants, prévisibles avec des systèmes agraires archaïques et le maintien d’une forte croissance démographique, tourneront à des famines-pénuries à répétition. (...) Les projections publiées en 2003 indiquent pourtant que le déficit céréalier tendanciel risque fort d’atteindre le million de tonnes en 2010, puis 2 millions de tonnes en 2020, et beaucoup plus encore en 2050.

Ces projections ne sont que des outils d’exploration du futur, mais il est urgent d’aller au-delà de l’aide d’urgence et des systèmes d’alerte actuels. A ce sujet, trois pistes doivent être explorées.

Tout d’abord, l’augmentation des rendements agricoles, grâce, entre autres, à une meilleure gestion des ressources en eau. Ensuite, la maîtrise de la croissance démographique, au travers de programmes non coercitifs d’information et de services en matière de planification familiale.

Enfin, l’allocation par l’Etat et l’aide extérieure de ressources suffisantes pour appuyer les innovations techniques dans l’agriculture et pour faire face aux coûts des importations de céréales, qui resteront indispensables dans les vingt prochaines années. Faute de cette réflexion à moyen terme, il faut s’attendre à des famines à répétition et à un recours encore plus fréquent et massif qu’aujourd’hui à l’aide alimentaire d’urgence. Qui peut souhaiter cela ?

Jean-Pierre Guengant est démographe, directeur de recherche à l’Institut de recherche pour le développement (IRD), représentant de l’IRD au Burkina Faso, ancien représentant au Niger.

© Le Monde.fr

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