Survie

OMC et médicaments : le faux succès, par Jean-Hervé Bradol

Publié le 11 septembre 2003 - Survie

Extraits tirés du Monde, France, 11 septembre 2003.

Pour comprendre le sens des mesures adoptées le 30 août dernier dans le domaine de l’importation de médicaments génériques au cours des réunions préparatoires au sommet de l’Organisation mondiale du commerce de Cancun, il faut rappeler à quels problèmes elles sont censées répondre.

Les médecins exerçant dans les pays à faibles revenus sont quotidiennement en situation d’échec. Ils ne disposent pas des outils (tests diagnostiques, vaccins et traitements) leur permettant d’assurer la survie de leurs malades atteints par les maladies infectieuses les plus meurtrières et les plus courantes.

Le nombre total des morts dues à ces maladies est estimé à 14 millions par an, selon l’Organisation mondiale de la santé. La catastrophe n’est pas que des millions d’individus décèdent chaque année d’infections virales, parasitaires ou bactériennes mais que plusieurs millions d’entre eux pourraient rester en vie si des politiques adaptées se mettaient en place. Ce n’est pas le cas. (...)

Ne nous y trompons pas : même si l’environnement international joue un rôle important, la responsabilité des questions de sécurité publique, en l’occurrence de santé publique, revient en premier lieu aux Etats concernés. Dans ce domaine, la simple observation permet de constater que la démission est la règle et la mobilisation l’exception.

Dans un environnement international peu favorable (quasi-abandon de la recherche pour les malades les plus pauvres, budgets publics notoirement insuffisants sous la pression des institutions financières internationales et prix des médicaments trop élevés), plusieurs pays ont néanmoins apporté des réponses adaptées.

C’est le cas du Brésil pour le sida à l’échelle nationale, celui du Cameroun et du Malawi, également pour le sida, mais à une échelle réduite à quelques expériences locales.(...)

Si ces exemples montrent que la volonté politique nationale peut être déterminante, leur caractère exceptionnel souligne qu’elle fait le plus souvent défaut. A l’échelle nationale, aucun pays africain - le continent le plus touché est en effet l’Afrique - n’a réussi à mettre en place en matière de sida ou de paludisme une politique de traitement efficace réellement accessible à la majorité des malades. Pourtant, ces deux maladies sont responsables d’environ la moitié des décès dus aux maladies infectieuses.

Quelle est, dans un tel tableau, la responsabilité des autorités internationales de la santé, du commerce et de l’aide publique ? Celle de prendre des mesures susceptibles de créer un environnement favorable à la multiplication des exemples locaux et nationaux qui ont fait la preuve de leur efficacité.

Dans le domaine du commerce du médicament, nous devons distinguer deux périodes : avant et après 2001.

Avant 2001, les multinationales n’avaient aucune stratégie particulière pour les pays en voie de développement et y vendaient le traitement contre le sida au même prix que dans les pays riches. Ainsi, une trithérapie coûtait alors plus de 10 000 euros par an et par patient.

Après 2001, sous la pression de campagnes d’opinion et d’une offre concurrentielle de médicaments génériques, le prix a été divisé par 30. Depuis, les multinationales pharmaceutiques basées dans les pays nantis n’ont de cesse d’exercer une pression, parfaitement relayée par le gouvernement américain, pour que, malgré cette baisse des prix, l’accès aux médicaments génériques soit le plus limité possible.

Nous assistons au passage d’une stratégie du plus cher possible à une stratégie de prix revus à la baisse, mais le moins souvent et le plus lentement possible.

L’accord signé il y a quelques jours par les membres de l’OMC a été présenté comme un succès, notamment parce que beaucoup pensaient que l’accès aux génériques était bloqué par l’absence d’accord. Mieux vaut un accord moyen que pas d’accord du tout, entend-on ainsi. Or il n’en était rien, entre autres raisons parce que l’Inde peut exporter légalement ses génériques vers l’Afrique jusqu’en 2005 et que des pays africains importaient déjà des génériques. Cancun est censé résoudre le problème particulier des pays en développement qui n’ont pas de capacités de production pharmaceutique suffisantes et qui doivent se fournir en génériques sur le marché international. En fait de lever une barrière, le texte qui sera présenté au Mexique alourdit les procédures d’importation.

Dès 1995, les accords internationaux sur la propriété intellectuelle permettaient aux Etats de sortir du cadre des brevets pour des raisons de santé publique qu’ils pouvaient eux-mêmes définir. Les Etats-Unis ne se sont jamais privés d’utiliser ces mesures. Mais quand les pays pauvres ont voulu faire de même, les règles du jeu sont devenues subitement plus restrictives. (...)

Le jeu n’est ni égal ni transparent. L’intimidation par la menace de représailles économiques et diplomatiques est la règle. Le plus puissant impose sa volonté en tordant quelques bras en coulisses. (...)

Hostilité et démission caractérisent la position des pays les plus riches et seules d’intenses campagnes de communication créent l’illusion du contraire.

Jean-Hervé Bradol, docteur, est président de Médecins sans frontières

© Le Monde

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