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OMC : génériques sur stricte ordonnance

Un accord contraignant a finalement été conclu samedi.

Publié le 1er septembre 2003 - Survie

Libération, France, 1er septembre 2003.

A bout de souffle. Le débat ultrasensible sur l’accès aux médicaments des pays les plus pauvres, qui piétinait depuis la réunion de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) à Doha en 2001, a finalement trouvé une issue samedi matin. A dix jours du sommet de Cancun (Mexique). Décryptage.

Que change cet accord ?

Il permet aux pays qui n’ont pas la capacité de produire des médicaments d’importer des copies bon marché de médicaments brevetés. Toute la difficulté réside dans les conditions imposées aux Etats désireux de le mettre en pratique. Prenons le Botswana, membre de l’OMC depuis mai 1995. Ce pays d’Afrique australe connaît le record mondial de contamination au VIH. Son espérance de vie a plongé à 36 ans (29 ans en 2010 selon l’ONU) et n’a pas d’industrie pharmaceutique capable de produire des génériques. Si le gouvernement veut des pilules récentes et brevetées, il doit négocier un prix plancher avec le laboratoire qui en est à l’origine. Faute de deal, le Botswana peut désormais adopter une licence obligatoire, par laquelle il s’autorise à importer un générique. D’Inde, par exemple, terre des « génériqueurs ».

Mais New Delhi doit à son tour voter une licence obligatoire pour pouvoir l’exporter. Les deux pays devront en informer le conseil des Adpic (Accord sur les droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce) de l’OMC, qui encadre ces droits. « Deux simples lettres suffiront », assure-t-on à l’OMC. Le Botswana précisera qu’il fait cette demande de « bonne foi », pour une question « d’urgence nationale ». L’Inde s’engagera à vendre le générique à des fins « ni industrielles, ni commerciales ». Les copies devront être empaquetées et labellisées différemment de l’original. But : éviter « toute réexportation » frauduleuse. Voilà pour la procédure standard, qui prendra, au minimum, plusieurs mois. Cela peut aller au-delà. Les Etats-Unis, par exemple, pourront demander que le Botswana ou l’Inde fournissent des « informations supplémentaires » au conseil des Adpic, qui ne se réunit qu’une fois par trimestre. Problématique et long pour le Botswana, qui n’a pas de personnel qualifié à Genève. En cas de différend, les Etats-Unis peuvent porter un éventuel litige devant l’OMC. « Où des spécialistes du commerce décident de problème de santé, s’agace un expert de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Où des technos vont décider d’un générique sur le paludisme, qui tue un enfant par seconde. »

Pourquoi se déchire- t-on sur l’accord ?

« Historique », assure le Thaïlandais Supachaï Panitchpakdi, directeur général de l’OMC. « Equilibré », se félicite l’industrie pharmaceutique. « Marché de dupes », répondent les ONG. Rarement compromis aura laissé place aux interprétations les plus opposées. ONG ou associations de malades épinglent l’absurdité d’un système qui impose une procédure bien plus lourde aux pays dépourvus d’industrie pharmaceutique, évidemment les plus pauvres. « L’accord implique tellement de paperasserie qu’il en devient largement impraticable, résume l’ONG Oxfam. Dans la pratique, la plupart des pays pauvres finiront par payer le prix fort pour des médicaments sous brevet ou, plus probablement, se débrouilleront sans. »

Les rares pays nantis d’une industrie pharmaceutique n’ont pas à fournir tous ces efforts. Il leur suffit de prendre une licence obligatoire au nom de l’urgence nationale et c’est plié. Ils peuvent, depuis longtemps, s’asseoir sur les brevets des labos. On l’a vu en 2001, lorsque les Etats-Unis ont menacé Bayer de copier son Cipro, un antianthrax. Le Brésil vient de faire de même avec trois molécules antisida (Libération du 26 août). « Et ces pays n’ont aucune obligation d’étiqueter les produits d’une façon particulière », remarque un haut fonctionnaire de l’OMS.

Chez les multinationales, en revanche, on respire. « C’est un accord acceptable, confie Harvey Bale, directeur général de la Fédération internationale de l’industrie pharmaceutique. Eviter que les médicaments envoyés dans les pays pauvres ne soient réexpédiés dans les pays riches est très important. » Il juge la réaction des ONG « inexplicable » : « D’un côté, le Lesotho, l’Algérie, le Kenya, le Brésil trouvent l’accord acceptable. Et de l’autre, Oxfam et MSF critiquent. Qui écouter ? J’aurais tendance à faire confiance à ceux qui ont la responsabilité de s’occuper de leurs peuples. » Encore faut-il que les gouvernements les plus concernés fassent preuve de volontarisme et de courage. En l’attente d’un règlement, Washington ­ qui avait mis son veto à tout accord en décembre 2002 ­ avait promis de ne pas attaquer les pays qui décideraient d’importer des génériques. Or, à part une poignée (Cameroun, Kenya), aucun n’a osé le faire.

Pourquoi les pays du Sud ont-ils signé ?

Plusieurs hypothèses se chevauchent. Primo, ce serait un bon arrangement. C’est notamment la ligne de l’Europe, des Etats-Unis ou de l’OMC, qui « saluent avec force » un « grand pas en avant » pour l’OMC, voire l’humanitaire.

La deuxième hypothèse se veut plus pragmatique. Voilà quatre ans que les médicaments empoisonnent les négociations commerciales. Et que les promesses non tenues de Doha menaçaient de faire capoter le sommet de Cancun. Beaucoup de pays pauvres redoutaient de payer cash leur bras de fer en laissant des plumes sur d’autres négociations essentielles, comme l’agriculture. Beaucoup de signataires ont cédé, sous le poids des tractations globales ou des pressions bilatérales. Et puis, les pays du Sud n’ont rien d’un front uni. Le Brésil n’a pas grand-chose à perdre, car il peut déjà fabriquer ses propres médicaments. Mais quid de la Zambie, par exemple, dont l’accès aux médicaments ne reposera que sur la viabilité de ce texte ?

Autre raison : la lassitude des négociateurs, africains notamment, conscients qu’un accord, même parfait, n’aurait été qu’un élément de réponse à l’ampleur du drame sanitaire actuel : six millions de morts annuels, rien que pour le sida, la tuberculose et la malaria. Que peut faire la Zambie avec son dollar par habitant et par an dévolu à la santé ? Rien. Si ce n’est attendre que le Fonds mondial contre les pandémies, en manque de fonds, finance des projets.

Par Florent LATRIVE et Christian LOSSON

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