Survie

Pétrolo-dépendance : les pistes du sevrage

Publié le 30 août 2005 - Antoine Lecanut

Liberation, France, 30 août 2005.

Transports, plastique, chauffage, l’or noir est partout, pas toujours indispensable. Exploration de quelques alternatives pour une désintoxication.

Le baril de brut à prix élevé est là pour « durer », a reconnu mi-août Dominique de Villepin. « On a vécu pendant un siècle et demi avec de l’énergie abondante et bon marché. C’est sans doute fini. Ce n’est pas un choc, c’est un changement de paysage », rappelle Jean-Marie Chevalier, directeur du Centre de géopolitique de l’énergie à l’université Paris-Dauphine [1]. La désintoxication s’annonce dure. Le pétrole est partout : dans les réservoirs, mais aussi dans le plastique, les peintures et les cuves pour le chauffage. Quels produits de substitution pour nos sociétés droguées à l’or noir ?

Rouler moins et mieux

La voiture pompe en France plus d’un litre de pétrole sur quatre à elle seule, selon les chiffres de l’Observatoire de l’énergie. A court terme, les seules mesures efficaces visent les comportements des automobilistes. Dès le 5 septembre, l’Ademe (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie) va lancer une campagne intitulée « Le pétrole flambe, levez le pied », qui met l’accent sur les transports en commun et appelle à « chasser le gaspi en voiture ». L’agence préconise quelques évidences. Diminuer sa vitesse d’abord : 10 km/h en moins, c’est 7 euros d’essence de gagnés sur un trajet de 500 km. Bichonner sa voiture ensuite : un filtre à air encrassé consomme 3 % de plus qu’un propre.

« A plus long terme, ce n’est plus les comportements d’usage mais d’achat qu’il faut modifier », estime Alain Morcheoine, directeur de l’efficacité énergétique à l’Ademe. Il faut privilégier des voitures plus légères, alors que le poids moyen d’un véhicule est passé d’une tonne à 1,4 tonne en dix ans ! Envisager aussi la propriété partagée, ou à l’achat de « kilomètres-voiture », en fonction de l’usage.

Mais, pour remplacer l’essence dans les réservoirs, pas de martingale. Les biocarburants, issus par exemple du colza, restent marginaux. L’Europe s’est bien fixé des objectifs : 5,75 % de biocarburants dans l’essence en moyenne pour 2010. Ambitieux en regard du petit 1 % d’aujourd’hui. « Il faut bien comprendre qu’on ne parle pas de 60 % », remarque Jean-Marie Chevalier, qui voit une limite au développement des biocarburants, celle de « l’équilibre d’une planète qui va accueillir plus de trois milliards de personnes en plus, qu’il faudra bien nourrir ».

A plus long terme, la pile à combustible fait fantasmer : l’hydrogène est l’élément le plus abondant sur la planète, et on sait faire rouler un véhicule avec. Mais sa production coûte encore très cher. Elle se fait par extraction de l’eau grâce à l’énergie nucléaire, notamment, ou de composés à base de carbone comme... le pétrole ou le gaz.

A terme, c’est la place de la voiture dans les déplacements qui devra baisser. « Il y a aura nécessairement une remise en cause de notre système de transport », dit Jean-Marie Chevalier. Et des évolutions de l’urbanisme, aujourd’hui conçu autour de la voiture reine.

Le commerce, mais pas à n’importe quel prix

C’est un cas d’école, thèse d’une étudiante allemande, publiée en 1993 par le Wuppertal Institut. Elle raconte les tribulations d’un pot de yaourt vendu à Stuttgart en 1992. Il avait parcouru 9 115 kilomètres, si on cumule le parcours du lait, celui des fraises cultivées en Pologne, celui de l’aluminium de l’étiquette, de la distance au lieu de distribution, etc. On peut multiplier les exemples à l’heure de la mondialisation. Crevettes pêchées en Norvège, expédiées au Maroc pour y être décortiquées, puis rapatriées en Norvège pour y être mangées. Blue-jeans 40 % plus pétrophages que d’autres, le coton ouzbek ayant transité par le Bangladesh avant d’être expédié aux Etats-Unis. « Le drame du commerce mondial est qu’il s’appuie sur un coût du transport catastrophiquement bas », estime Alain Morcheoine, de l’Ademe. « Une hausse très forte du pétrole peut remettre en cause certaines formes d’organisation du commerce international », dit Jean-Marie Chevalier. Les économistes de l’école de la « décroissance durable », comme Serge Latouche, préconisent une « relocalisation » de l’économie.

A court terme, néanmoins, rien ne permet d’espérer la moindre inflexion. En France, près de 20 % du pétrole consommé alimente des véhicules hors voitures, dont une grosse part de camions de marchandises. « La sagesse voudrait qu’on arrête la croissance de la route et qu’on fasse plus de ferroutage », avance Jean-Marie Chevalier, qui s’avoue sans illusions sur ce dossier « politiquement sensible ». Une seule liaison de ferroutage existe pour l’instant en France, entre Aiton (Savoie) et Orbassano (Italie). Quant au merroutage, la ligne expérimentale Toulon-Civitavecchia (Italie), inaugurée en janvier, ne fait toujours pas le plein.

Le plastique c’est pas fantastique

Même si on met sa voiture à la casse et qu’on fait les courses chez l’agriculteur bio du coin, le problème du pétrole demeure. « Tous les produits d’usage courant sont faits à partir de pétrole », souligne Antoine Gaset, spécialiste de la chimie agro-industrielle à l’Institut national polytechnique de Toulouse. En France, 15 % de la consommation de pétrole est qualifiée d’« hors énergie ». Elle sert aux bitumes, lubrifiants et autres plastiques... La substitution est très difficile dans ces domaines, même si de premiers résultats ont été obtenus en utilisant l’agriculture. Des huiles transformées de tournesol ou de colza peuvent être utilisées dans l’imprimerie, la mécanique ou le bâtiment. Les tensioactifs, qui nourrissent les lessives, peuvent être troqués contre des détergents à base d’huiles végétales. « En plus, cela a un impact positif sur la santé et l’environnement », s’enthousiasme Antoine Gaset. Des céréales remplacent les solvants ou les résines, des oléagineux les peintures... « Beaucoup de choses existent, il suffit de les généraliser », affirme Jean-Louis Bal, de l’Ademe.

Le coût des alternatives demeure, pour l’heure,­ plus élevé que celui du pétrole. Mais le maintien d’un prix élevé du brut donnerait à ces substituts un avantage économique. « A 70 dollars le baril, les produits issus de l’agriculture deviennent compétitifs. Surtout si on ajoute les coûts environnementaux ou géopolitiques du pétrole », calcule Antoine Gaset.

Pour le plastique, en revanche, l’équation est plus délicate. « Les matières plastiques ont atteint un niveau de performance que les produits d’origine végétale n’atteindront pas avant vingt ans », admet Gaset, qui estime que « les toutes dernières gouttes de pétrole serviront à faire du plastique ». Seule piste : en consommer moins, notamment en limitant la profusion des emballages inutiles.

Mieux isoler sa maison

L’habitat et le chauffage ne sont pas le secteur le plus gourmand en pétrole en France. L’usage très répandu de l’électricité (d’origine nucléaire à 80 %) et du gaz (certes, fossile, mais plus abondant que le pétrole) maintient la soif de pétrole dans des limites raisonnables : le fioul ne compte que pour 17,5 % de la consommation totale française, « beaucoup moins qu’aux Etats-Unis », relève Jean-Marie Chevalier. Mais, sur ce dossier aussi, les efforts possibles sont nombreux : mesures d’isolation et normes thermiques. « Un foyer pourrait consommer 20 % d’énergie en moins en vivant de la même façon », poursuit ce dernier. A l’Ademe, on va plus loin. « On pourrait très vite consommer 50 % de fioul en moins », assure Alain Morcheoine. Alors qu’un parc automobile se renouvelle tous les vingt-cinq ans, celui du logement se fait sur un siècle. Il faut donc améliorer l’existant. « On doit multiplier les incitations fiscales pour mieux isoler les logements, travailler sur la gestion intelligente du chauffage, qui se baisse la nuit. » Et, bien sûr, privilégier les énergies renouvelables, comme le solaire, ou la géothermie, qui chauffe déjà 150 000 foyers en Ile-de-France.

Par Florent LATRIVE et Christian LOSSON

© Libération

[1Auteur des Grandes Batailles de l’énergie, 2004, Folio Actuel.

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