Survie

Un bien public mondial : l’information et la communication

Article paru dans la revue Hémisphères n° 21, Belgique, juin-août 2004.

par Djilali Benarmane
Chercheur analyste au sein du groupe "communication" de l’association BPEM.

Aujourd’hui, dans les pays développés, les microordinateurs équipent les lieux de vie, de travail et de loisirs et grâce aux progrès des télécommunications, des satellites, de l’électronique, de la miniaturisation et du numérique, enfants, jeunes et moins jeunes, hommes et femmes de toutes conditions, échangent en temps réel et en tous lieux, par l’écrit, la voix et l’image. La communication via la toile d’Internet vient s’ajouter et démultiplier les effets en croissance spectaculaire des autres médias, presse, radio, télévision. Le téléphone, présent depuis longtemps dans les foyers, les entreprises, les villes, les villages et les campagnes connaît un essor nouveau, le portable est dans toutes les poches, tous les sacs, toutes les voitures, le satellitaire au service de toutes les expéditions, de toutes les randonnées en des lieux inhabités, pauvres ou dépourvus d’infrastructures de communication. Aujourd’hui, dans les pays pauvres, il existe encore des populations entières vivant dans des communautés rurales et villageoises qui n’ont accès ni à Internet, ni à la télévision, ni à la radio, ni au téléphone, ni aux services postaux de distribution des lettres, des chèques ou des journaux ; il n’existe même pas le garde champêtre dans sa fonction ancestrale de crieur véhiculant l’information de proximité, d’intérêt commun [1].

Dans le monde du développement, du progrès et de l’opulence, l’accès à l’information est un droit et un devoir qui pousse le consommateur à plus d’achat, plus de gaspillage, plus de culture et de loisirs, le citoyen à plus de conscience et de connaissance de ses droits et de ses obligations, la communauté locale ou nationale à une meilleure connaissance de sa place dans son environnement proche et lointain, la communauté internationale aux enjeux et aux grands défis de l’humanité. Dans le monde de la pauvreté et de la précarité, des populations luttent quotidiennement pour leur survie et attendent qu’un des leurs revienne du marché hebdomadaire du centre urbain le plus proche pour pouvoir glaner quelques informations déformées à volonté. De temps à autre, des visiteurs venus d’une autre planète déversent leur message ésotérique et repartent aussitôt, libérant le village de leur convoi impressionnant de voitures tous terrains flambant neuf. Mode de transport, instrument de communication, porte voix ou amplificateur, habillement et façon de s’exprimer des visiteurs et de leurs traducteurs en langue locale alimenteront le débat des semaines entières, plus que le contenu du message livré.

Pour autant que le processus de globalisation considéré comme irréversible vise la construction d’un monde à l’image d’un village planétaire où la communauté mondiale dans son ensemble aspire à vivre dans la paix, le progrès et le bonheur partagé, se pose alors avec une réelle acuité la pertinence de la coexistence pacifique de deux mondes foncièrement différents, départagés grosso modo en monde du Nord vivant dans l’opulence et monde du Sud vivant dans le dénuement. L’explosion des technologies de l’information et de la communication fait que ceux qui ont eu la chance de naître et de s’épanouir dans le monde riche ne peuvent supporter la pauvreté et la misère du Sud. De leur côté, ceux qui pour leur malheur sont nés dans le monde du sous-développement et de l’arriération, de plus en plus conscients de leur sort et de leur impuissance à s’en sortir, finiront par développer des formes de résistance, voire d’opposition à cette situation inacceptable, au risque de rendre intenable la vie dans le village planétaire en construction.

L’approche de promotion de l’association « Biens publics à l’échelle mondiale » [2] pourrait constituer une démarche conceptuelle et méthodologique prometteuse de résolution concertée, de rapprochement des deux mondes dans une stratégie de construction d’une citoyenneté mondiale et d’homogénéisation des populations, bâtisseurs volontaires et conscients du village planétaire commun. Mais pour que les citoyens du village planétaire soient sensibilisés, conscientisés et mobilisés pour contribuer au respect et à l’utilisation optimale des biens publics, encore faudrait-il qu’ils soient informés des problématiques et des enjeux. Qu’ils soient partie prenante dans une démarche proactive de communication dans la définition des droits et des devoirs de tous au regard des objectifs convenus. Ainsi, tout semble plaider pour considérer l’information et la communication comme un bien public mondial au service de la promotion et de la sauvegarde des autres biens publics mondiaux. La définition de ce besoin et les modalités appropriées de sa satisfaction devront faire l’objet d’un choix social délibéré, de mobilisation de moyens conséquents de lutte politique, sociale et économique pour que l’accès à la consommation adéquate de ce bien soit extrait aux seules lois du marché pour obéir à des règles appropriées contrôlées et sanctionnées par des institutions internationales crédibles, fiables, compétentes et qualifiées.

Le sommet mondial de Genève sur la Société de l’information qui aura lieu en deux étapes - l’une à Genève en fin 2003, l’autre à Tunis en 2005 - offre une opportunité d’approfondir les débats.

Djilali Benarmane

[1En ce qui concerne l’ampleur du fossé numérique, cfr. : « Mettre les nouvelles technologies au service du développement humain », in Rapport mondial sur le développement humain 2001, Programme des Nations unies pour le Développement, De Boeck & Larcier, Paris-Bruxelles, 2001.

[2Pour bien saisir la problématique des biens publics à l’échelle mondiale cfr. : Biens publics à l’échelle mondiale, Essai collectif, éditions Colophon, Bruxelles 2001, et Lille, F., Verschave, F.-X., On peut changer le monde - A la recherche des biens publics mondiaux, éditions La Découverte, Paris, 2003.

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