Survie

Un bien public mondial : l’énergie

Publié le juin 2003 - François Lille, Survie

article paru dans la revue Hémisphères n°20, Belgique, mars-avril-mai 2003.

L’idée des biens publics mondiaux, en ce début de millénaire, fait son chemin. Que sont-ils ? La concrétisation de l’exigence, pour tous, de la satisfaction des besoins et aspirations reconnus par les droits humains et écologiques fondamentaux. La connaissance, la justice, la culture, la nourriture, l’eau potable, tant d’autres... Les revendiquer comme publics signifie qu’ils doivent être équitablement distribués et librement choisis, pour tous les peuples, pour tous les gens de tous les peuples. Est-ce trop demander ? Non, c’est la base minimale du monde humain, si l’on veut qu’il ait un avenir autre que la spirale du chaos, de la misère et de la guerre dans laquelle il semble vouloir s’enfoncer inéluctablement.

On parle aussi, plus couramment, de patrimoine ou de biens communs. C’est un autre concept important, qui se rapporte à l’appropriation collective d’un bien, alors que le bien public concerne sa répartition et son utilisation.

Prenons pour aujourd’hui l’exemple de l’énergie. Sous toutes ses formes, elle est présente partout. Toute vie en capte sa part pour exister. Ce qui pose ici question en est la part que l’humanité est capable de détourner directement à son profit, ou pour son malheur. Biens publics, maux publics, nous retrouverons ce dilemme en bien d’autres cas.

Il y a les énergies de flux et de " stocks vivants ", que l’humanité utilise de plus en plus efficacement depuis ses origines, et depuis peu les énergies de stocks fossiles ou radioactifs. Soleil, vents et courants, énergie de la biomasse d’une part ; charbon, tourbe, pétrole, uranium de l’autre.

Ce sont les derniers qui posent problème. Ils sont des cadeaux du passé planétaire, non renouvelables à l’échelle humaine, et dont l’humanité est comptable envers toutes les générations futures. Comme elle l’est du changement climatique incontrôlable qu’elle induit en gaspillant à tout va ces richesses. Quand aux matières radioactives, leur exploitation paraît en l’état actuel des connaissances une impasse dangereuse, dans laquelle la France s’est aménagé une niche que bien peu nous envient !

Premier aspect fondamental : Les stocks énergétiques sont un bien commun mondial concentré et limité. Limité de par son effet sur le climat, leur usage devrait l’être aussi par le souci de sa préservation pour les générations futures. Il y a nécessité absolue d’une gestion globale de l’énergie fossile mondiale. Absolue signifie que l’économie devra se plier à cette double limitation. Les énergies de flux sont au contraire réparties et auto-limitées, mais tellement sous-utilisées que leurs perspectives de développent sont considérables.

Second aspect fondamental : l’énergie est aussi nécessaire à la vie que l’air et l’eau. Une des bases fondamentales du droit universel est le droit à la vie. L’énergie peut et doit donc être déclarée bien public mondial : les peuples et gens du monde y auront ainsi un droit équitable eu égard à leurs besoins, géographiquement différenciés.

Troisième aspect, plus " conjoncturel ", c’est-à-dire spécifique aux générations actuelles : on a laissé l’inégalité de consommation énergétique se développer à tel point qu’il y a urgence absolue à inverser le mouvement, et à concevoir un plan réaliste pour atteindre le plus vite possible l’équité (second aspect), mais dans le cadre d’une diminution globale (premier aspect).

Il y a de fausses solutions, que nous ne développerons pas ici faute de place : création de marchés de permis de polluer, comptabilité frelatée des sources et puits de carbone... Quelles sont donc les vraies ? A priori, celles qui tiennent compte des trois aspects énoncés ci-dessus.

Le développement des énergies de flux répond aux trois : elles ne menacent pas le climat global, sont accessibles un peu partout, et mobilisables assez rapidement sans investissements très lourds. Produites et gérées localement, elles favorisent en outre la démocratie mondiale. Mais la substitution d’énergie ne suffira pas, l’urgence est trop grande. Les économies et la maîtrise de l’énergie, deuxième moyen indispensable pour freiner le risque climatique, devront être différenciées dans un double objectif, de réduction globale et de rééquilibrage mondial. Si le Sud à besoin d’une croissance énergétique, il faudra bien que nos riches pays s’engagent plus que la moyenne dans substitution et la réduction globale.

Comment faire, socialement et politiquement ? Bien intégrer les trois aspects pour concevoir des revendications auxquelles les citoyens des pays pauvres et ceux des pays riches puissent croire et adhérer simultanément. Les premiers ont des revendications énergétiques à faire valoir, les seconds des pratiques dispendieuses à combattre, pour leur plus grand confort d’ailleurs. Tout le monde doit y gagner, hormis quelques puissances financières... C’est la condition du succès, dans lequel le concept de bien public mondial peut jouer un rôle essentiel.

Les obstacles paraissent immenses, tant est évidente la puissance des lobbies énergétiques, et leur capacité à saboter tout effort sérieux de réduction globale et à promouvoir les " fausses solutions " que nous avons sommairement évoquées - jusqu’à faire admettre à Kyoto l’introduction du marché des permis de polluer dans le droit international. Mais peut-on se résigner, quand on a compris l’ampleur des enjeux ? L’idée des biens publics mondiaux doit permettre de joindre les objectifs énergétiques à d’autres pour inverser le rapport de forces.

À suivre...

François Lille

© Hémisphères

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