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Les 8 propositions de Survie pour une réforme de la politique de la France en Afrique

Publié le 9 février 2007 - Survie

La politique de la France en Afrique : « domaine réservé » du chef de l’Etat. Il est communément admis que la politique africaine de la France, comme sa politique étrangère, relève du « domaine réservé » du Chef de l’Etat. C’est une pratique aussi ancienne que la Vè République, au point que nos élus se conduisent comme si ce concept du « domaine réservé » était inscrit dans la Constitution française, et qu’une réforme en ce sens nécessitait au préalable une révision de la Loi fondamentale. Or ce fonctionnement n’est ni plus ni moins qu’une « tradition française », héritée de la monarchie, que les Présidents français se sont appropriée.

Survie demande que la politique extérieure de la France soit soumise aux règles élémentaires de démocratie, à commencer par un contrôle accru et effectif du Parlement. Elle invite les citoyens français à interpeller leurs élus pour que ces derniers jouent pleinement ce rôle de contrôle.

La France agit en Afrique comme un Etat néo-colonial. L’indépendance des Etats d’Afrique francophone a été depuis les années 1960 constamment bafouée au nom de la guerre froide, de la grandeur de la France et de ses intérêts commerciaux. Elle continue de jouer un rôle dominant en Afrique, n’hésitant pas à user de son influence pour maintenir des régimes de dictature au pouvoir, comme on l’a vu récemment lors de la lamentable et sanglante intronisation de Faure Gnassingbe, au mépris du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes.

Survie invite le gouvernement français (1) à cesser immédiatement tout soutien officiel et officieux de la France aux régimes et/ou gouvernements qui bafouent les droits humains et l’Etat de droit, (2) à rendre sa diplomatie et sa politique commerciale cohérente avec ses engagements de solidarité internationale, enfin (3) à ré-affirmer et mettre en pratique la primauté du droit international relatifs aux droits économiques, sociaux et culturels, à valeur contraignante pour les États, les entreprises et les individus.

« D’abord ne pas nuire » : il s’agit d’abord et avant tout de remettre en question les mécanismes qui nuisent à l’émergence d’une société civile africaine consciente des enjeux politiques et à sa capacité de s’organiser en tant que citoyens.

Ces propositions sont régulièrement actualisées et disponibles sur notre site Web. La présente version date du 8 février 2006

AU NIVEAU NATIONAL :

1. Repenser les fondements de la solidarité internationale

· Lancement d’un audit, par des experts indépendants, sur l’aide publique française au développement et son impact socio-économique et politique sur le développement des pays africains au cours des trois dernières décennies, notamment au regard des populations les plus démunies,

· Élaboration d’une nouvelle politique de coopération fondée sur la lutte contre la pauvreté, la défense des droits humains et l’accès de tous aux biens publics, en se donnant les moyens et la volonté politique de proposer des initiatives innovantes grâce à une consultation large de la société civile de France et de représentants authentiques de la société civile africaine,

· Réflexion globale sur la politique d’immigration, le droit des migrants et leur apport dans les processus de développement.

2. Renforcer le rôle du Parlement

· Clarification des prérogatives entre la Présidence de la République, le Ministère des Affaires Étrangères et le Ministère délégué à la coopération en matière de politique extérieure,

· Remise aux Commissions des Affaires étrangères du Sénat et de l’Assemblée nationale, par le Ministère des Affaires étrangères, d’un rapport annuel sur la coopération française en matière culturelle, technique et budgétaire, pouvant faire l’objet d’auditions de responsables politiques, de hauts fonctionnaires, d’organisations non gouvernementales et d’experts,

· Instauration d’un contrôle parlementaire permanent sur la coopération militaire, notamment la formation des forces chargées du maintien de l’ordre, la fourniture d’équipements para-militaires et le positionnement de troupes françaises, et instauration d’un vote préalable à toute intervention militaire à l’étranger,

· Instauration d’un avis conforme du Parlement sur les contrats de ventes ou de fournitures d’équipements militaires de fabrication française (publique ou privée) à destination finale de gouvernements étrangers,

· Création d’une commission d’enquête parlementaire sur l’origine de la dette des pays du Sud à l’égard de la France, y compris celle issue des contrats garantis par la COFACE,

· Suppression des groupes d’amitié parlementaires avec les pays où les élections n’ont pas donné toutes les garanties de transparence.

3. Lutter contre l’impunité

· Enquête approfondie sur les crimes coloniaux dans lesquels la France a été directement ou indirectement impliquée (Cameroun, Madagascar, Algérie, Viet-Nam...) ainsi que sur la nature et le degré de la coopération de la France avec des régimes qui se sont rendus responsables de crimes contre l’humanité ou de génocide (Rwanda, Congo...),

· Instauration, dans le droit français, d’une loi de compétence universelle (à l’instar de l’ex-loi belge),

· Collaboration accrue avec la Cour pénale internationale : coopération, loi d’adaptation, retrait de l’article 124, contribution au fonds de soutien aux victimes,

· Restitution par la France et par les Etats européens des biens mal acquis par les dictateurs aux pays spoliés (décision de la CPI ou des justices nationales), et mise en place de mécanismes de contrôle dans les pays non démocratiques pour que les fonds libérés servent effectivement au développement des populations,

· Création d’une agence internationale pour la régulation du commerce des minerais précieux (de type diamants, or...) : label d’origine, certification, traçabilité des transactions et pouvoir de sanction.

4. Réformer le dispositif français de coopération au développement

· Application, dès 2007, des recommandations du collectif Coordination Sud en matière de transparence des crédits de la mission « APD », de comptabilisation (exclusion des annulations de la dette, de l’écolage, du rayonnement culturel et de la promotion de la langue française, hors du budget de coopération), ainsi que de déliement des prêts, y compris pour les pays à revenu intermédiaire,

· Implication et consultation systématique des sociétés civiles des pays partenaires dans la définition et l’évaluation des politiques bilatérales de coopération et des C2D (contrats de désendettement et de développement),

· Utilisation du secteur transversal de « bonne gouvernance », prévu à partir de 2006, exclusivement pour des programmes de consolidation de l’Etat de droit et d’appui à la société civile locale (par exemple à travers des programmes régionaux d’appui à la démocratie et aux droits humains, à l’instar des programmes de contrôle des processus pré-électoraux menés par des ONG de défense des droits),

· Suppression des missions d’observation électorale de la France dans les pays africains, et définition de ces missions dans le cadre de mandats multilatéraux -Union Africaine, Union Européenne ou ONU-, effectuées dans la transparence et conjointement avec des ONG locales et internationales reconnues,

· Mise en place d’un « service diplomatique minimum » et suspension de la coopération dans les secteurs régaliens avec les régimes qui ne procèdent pas d’une élection démocratique ou qui bafouent les droits humains (respect des normes internationales en matière de contrôle électoral et respect des engagements de la Déclaration de Bamako de 2000),

· Clarification du statut et des missions de l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF),

· Augmentation des crédits de coopération affectés à la coopération multilatérale, pour atteindre progressivement 2/3 de l’APD française totale, afin d’assurer le financement des secteurs répondant aux objectifs internationaux de développement, à commencer par l’accès de tous aux biens publics (eau, santé, éducation...),

· Soutien accru aux acteurs de la coopération décentralisée, sous réserve que ceux-ci se référent à des principes communs plus explicites en matière de défense de la démocratie et des droits humains.

5. Encadrer strictement la coopération militaire et contrôler les transferts d’armements

· Publication des accords de défense (passés et présents) et approbation préalable par le Parlement,

· Fermeture des bases militaires permanentes en Afrique hormis celles prévues dans le cadre du programme de Renforcement des capacités africaines de maintien de la paix (RECAMP),

· Bilan et rôle effectif de la France dans les programmes RECAMP et ANAD (Accord de non-agression et d’assistance en matière de défense) et passage de la dimension française à la dimension européenne,

· Suspension de la coopération militaire avec les forces armées non républicaines (armée clanique, milices paramilitaires, non respect de l’Etat de droit...),

· Arrêt de toute intervention militaire française dans les pays anciennement colonisés par la France,

· Suppression du Commandement des Opérations Spéciales (COS), qui relève du seul contrôle du chef d’Etat major des armées et du Président de la République, court-circuitant ainsi l’action gouvernementale,

· Renforcement du dispositif de répression du mercenariat en intégrant, dans la loi du 3 avril 2003, des dispositions relatives à un contrôle strict des sociétés de sécurité privées,

· Adoption et ratification de la Convention cadre sur les Transferts Internationaux d’Armes (dite Traité sur le commerce des armes, « ATT »).

AU NIVEAU EUROPEEN :

6. Consolider la politique extérieure européenne

· Intégration du Fonds Européen de Développement dans le budget communautaire pour accroître le contrôle du Parlement européen (tout en préservant les acquis de la Convention de Cotonou en matière de partenariat privilégié avec les Etats Afrique-Caraïbes-Pacifique),

· Conditionnement des programmes de coopération européenne, notamment l’aide budgétaire, à l’application stricte des articles 8 et 96 de la Convention de Cotonou sur le respect des droits humains et l’Etat de droit ainsi que sur le dialogue politique permanent,

· Intégration, dans les programmes européens d’appui à la bonne gouvernance, de projets d’appui aux processus électoraux, du recensement électoral jusqu’au décompte des résultats.

AU NIVEAU INTERNATIONAL :

7. Lutter contre les réseaux de criminalité internationale, de blanchiment et d’évasion fiscale

· Suppression du Franc CFA, qui favorise l’évasion des capitaux et la sujétion des politiques économiques des Etats africains, et instauration d’un code d’investissement contraignant,

· Application stricte du droit existant en matière de régulation et de transparence bancaire et financière dans tous les Etats membres de l’UE ainsi que dans les territoires qui en dépendent : Monaco, Andorre, Jersey, Guernesey...

· Renforcement de la coopération européenne entre autorités judiciaires et fiscales afin de lutter efficacement contre l’évasion fiscale et contrôle strict, au niveau national et européen, des sociétés de compensation,

· Renforcement vigoureux du mandat et des moyens du Groupe d’Action Financière Internationale (GAFI) à l’encontre des « territoires non coopératifs » (notamment les centres financiers off shore) en lui permettant des contrôles sur le terrain de l’application des normes internationales en vigueur contre le blanchiment et l’évasion fiscale, et en lui attribuant des pouvoirs de sanction dissuasifs,

· Renforcement de la coopération internationale au sein du Forum de Stabilité Financière (FSF) pour assurer la surveillance et la régulation des marchés financiers,

· Promouvoir l’instauration d’une norme internationale contraignant les entreprises et les gouvernements à publier tout paiement effectué dans le cadre de l’exploitation de ressources naturelles (plus contraignante que l’Initiative de Transparence des Industries Extractives).

8. Travailler à la construction d’une gouvernance mondiale représentant et défendant les intérêts des peuples

· Instauration d’un code international en matière d’investissement local par les entreprises multinationales,

· Réorganisation des conseils exécutifs de la Banque mondiale et du FMI afin d’augmenter le nombre de sièges revenant aux pays du Sud, et subordination de ces institutions aux obligations et Conventions internationales en matière de respect des droits fondamentaux,

· Création d’une Commission de respect des droits humains et de consolidation de la paix, au sein de l’ONU, dotée de réels pouvoirs en terme d’opérations de maintien de la paix, et subordination des interventions militaires de l’ONU à cet organisme,

· Ré-affirmation et mise en pratique de la primauté du droit international des droits humains, inscrit dans la Déclaration universelle des droits de l’Homme ainsi que dans les Pactes internationaux de 1966 relatifs aux droits économiques, sociaux et culturels, qui doit être appliquée de façon coercitive à l’égard des États, des entreprises et des individus,

· Transformation du Conseil économique et social de l’ONU en une véritable Autorité internationale en matière économique et sociale.

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