Survie

Il y a 20 ans… Un rapport de l’ONU confirme le rôle du régime Habyarimana dans les massacres ethniques

Publié le 12 août 2013 - Groupe Rwanda

Suite à l’enquête des associations de Défense des droits de l’homme de janvier 1993 sur les massacres à caractère ethnistes commis au Rwanda, l’ONU s’empare du sujet et le rapporteur spécial des Nations Unies, Bacre Waly Ndiaye, se rend à Kigali en avril 1993 pour réaliser sa propre enquête. Il rend son rapport le 11 août 1993 – soit huit mois avant le génocide.

Le rapporteur spécial de l’ONU sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires est explicite : « Il règne actuellement au Rwanda un climat de méfiance et de terreur. […] les autorités ont distribué des armes à des civils, officiellement pour combattre le FPR […] ». Le rapporteur explique qu’ «  il existe […] une certaine élite qui, pour s’accrocher au pouvoir, continue à alimenter la haine ethnique.  » Et ce, notamment par le biais d’« une politique de propagande gouvernementale délibérément orientée » qui a pour effet « la désignation collective de tous les Tutsi de l’intérieur comme complices du FPR. »

L’Etat rwandais est alors dirigé par Juvénal Habyarimana, soutenu envers et contre tout par la France de François Mitterrand.

Plus loin dans son rapport, Bacre Waly Ndiaye détaille les types de violations de droits de l’Homme, notamment les «  menaces de mort et assassinats politiques  » et les « massacres de populations civiles », précisant qu’«  il a été démontré à maintes reprises que les agents de l’Etat étaient impliqués, soit directement par incitation, planification, encadrement ou participation à la violence, soit indirectement par incompétence, négligence ou inaction volontaire. » 

Toujours dans ce rapport connu par la communauté internationale l’année précédent le génocide, Bacre Waly Ndiaye identifie les responsabilités :

« Violations imputables aux Forces Armées Rwandaises

Les FAR ont […] joué un rôle actif et planifié au plus haut niveau dans certains cas de tueries de Tutsi par la population,

[…]

Violations imputables à des agents de l’administration territoriale Le rôle de ces fonctionnaires (préfets, sous-préfets, bourgmestres, conseillers, responsables de secteurs et de cellule) dans les massacres de populations civiles se situe principalement au niveau de l’incitation, de la planification, de l’encadrement et dans certains cas, de la participation physique. […]. Dans certains, des agents de l’administration ont facilité la tâche des auteurs de massacres en mettant à la disposition de ceux-ci des moyens matériels, tels que des véhicules ou du carburant.

[…]

Violations imputables aux milices de partis politiques

Les organisations des jeunesses de certains partis politiques se sont vues transformées en milices, parfois armées, et ont été utilisées dans la lutte pour le pouvoir. […] Il a été rapporté à maintes reprises que deux de ces milices, celles du MRND et de la CDR, se sont rendues coupables d’incitation à la violence contre les tutsi, de massacres de populations civiles et d’assassinats individuels à caractère politique. […] Il a aussi été rapporté que ces milices auraient été entrainées par des membres de la garde présidentielle et par des militaires. »

Bacre Waly Ndiaye note également l’impunité complète qui règne au Rwanda pour tous les auteurs de crimes contre les Tutsi, et souligne le rôle de la propagande du pouvoir à travers les médias :

« L’implication des médias dans la propagation de rumeurs infondées et dans l’exacerbation des problèmes ethniques a été relevé à maintes reprises. Radio Rwanda, qui constitue la seule source d’information pour la majorité d’une population au faible niveau d’instruction, et qui demeure sous le contrôle direct de la présidence [d’Habyarimana], a joué un rôle néfaste dans la genèse de plusieurs massacres. Ceci est particulièrement vrai pour certaines émissions en kinyarwanda dont le contenu différait très sensiblement de celui des informations transmises en français, langue que ne comprend qu’une petite partie de la population. »

Incitation à la haine ethnique, manipulation par le biais des médias, formation de milices par l’armée, distribution d’armes (fusils, grenades) à des civils, organisation d’assassinats ciblés et de massacres ethniques de masse par les autorités, impunité absolue : tous les ingrédients que l’on retrouvera dans le génocide au printemps 94 sont déjà décrits dans ce rapport de l’ONU d’août 1993.

Le Rapporteur Spécial de l’ONU soulève d’ailleurs explicitement, dans ce rapport d’août 93, la question de savoir si les massacres précités peuvent être qualifiés de génocide. Même s’il affirme qu’il ne lui appartient pas de se prononcer, il écrit :

« Il ressort très clairement des cas de violences intercommunautaires portés à l’attention du Rapporteur spécial que les victimes des attaques, des Tutsi dans l’écrasante majorité des cas, ont été désignés comme cible uniquement à cause de leur appartenance ethnique, et pour aucune autre raison objective. On pourrait donc considérer que les alinéas a) et b) de l’article II [qui porte définition du génocide dans la convention de 1948] sont susceptibles de s’appliquer […] »

Bacre Waly Ndiaye rend hommage dans son rapport aux membres des ONG rwandaises, qui, « sont […] trop souvent les seuls qui, au risque de leur vie, agissent pour enquêter sur les violations des droits de l’homme, faire pression sur les autorités et dénoncer les coupables. »

La France de François Mitterrand, elle, continuera à soutenir ce régime extrémiste, et à lui apporter un soutien diplomatique et militaire.

Rapport de l’ONU publié le 11 août 1993
Rapport présenté par M.B. W. Ndiaye, rapporteur spécial, sur la mission qu’il a effectué au Rwanda, du 8 au 17 avril 1993
a lire aussi