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Loi sur le renseignement : « Surveillez-les tous, le Premier ministre reconnaîtra les siens » ?

Publié le 3 mai 2015 - Survie

L’association Survie, dont les travaux sur la politique africaine de la France croisent régulièrement le chemin des services secrets français, dénonce la sanctuarisation que leur offre le projet de loi soumis au vote des parlementaires le 5 mai, doublée de moyens légaux de surveillance de masse qui menacent la démocratie tout en prétendant la protéger. Elle relaie donc les appels de plus en plus nombreux à pousser les députés à rejeter cette loi et s’associe au large appel à mobilisation ce lundi 4 mai.

Alors que l’armée se déploie durablement dans nos rues au nom de la lutte contre le terrorisme, le gouvernement a décidé le passage au Parlement, en utilisant la procédure accélérée, d’une « loi sur le renseignement » [1], particulièrement attentatoire à nos vies privées.

En effet, sous couvert d’un encadrement des techniques de surveillance employées par les services secrets, la représentation nationale s’apprête à légaliser des pratiques hautement intrusives, utilisées jusqu’alors illégalement par ces services : géolocalisation, captation de données, pose de micros ou de caméras dans des espaces privés, etc. La loi prévoit aussi l’installation d’algorithmes chargés d’espionner de façon systématique l’activité des citoyens sur le Web afin de détecter des « comportements suspects » dans le but affiché de prévenir des actes terroristes.

En pratique, un tel outil de surveillance de masse permettrait, en fonction des critères utilisés dans ces algorithmes aux mains du pouvoir, de satisfaire aussi la mission de surveiller les mouvements sociaux dévolue aux services secrets français : tout est question de définition des « comportements suspects ». La loi prévoit par ailleurs un élargissement considérable des personnes susceptibles d’être directement espionnées, notamment celles pouvant porter atteinte aux « intérêts majeurs de la politique étrangère » de la France. La révélation de scandales ou la divulgation d’informations critiques sur, par exemple, la politique africaine de la France et ses zones d’ombre, peut relever de cette définition très extensive et bien éloignée des objectifs de protection des populations qu’affiche le Gouvernement.

De même, des techniques de surveillances poussées pourraient être utilisées afin de prévenir « des violences collectives de nature à porter atteinte à la sécurité nationale ». Là encore, si la communication gouvernementale brandit la « menace djihadiste », la notion assumée de « prévention » de telles violences, qui justifie l’action en amont, rend de facto suspects les organisateurs de manifestations rassemblant différents courants de contestation du pouvoir…

Pour faire accepter le projet de loi, le gouvernement met en avant la constitution d’une Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement, la CNCTR, qui prendrait la suite de la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité (CNCIS) qui surveille actuellement les écoutes demandées par les services. Mais cette future CNCTR est un leurre : de l’aveu de Jean-Marie Delarue, le président de l’actuelle CNCIS, cette nouvelle commission sera incapable de contrôler effectivement, et même a posteriori, les services secrets. Lors de son audition devant les membres de la commission de la Défense de l’Assemblée nationale, celui-ci avouait notamment qu’ « en l’état, faute de disposer de la très forte technicité en informatique nécessaire, je suis incapable de dire si ces algorithmes correspondent effectivement à ce que le service va m’affirmer. Sans compter que pour entrer dans le système mis en place, le service devra me donner lui-même les instruments qui me permettront de le contrôler ».

Cette loi, brandie en urgence comme une réponse politique aux attentats de janvier à Paris, offre aux services secrets le blanc-seing qu’ils réclamaient depuis longtemps, et que des parlementaires intoxiqués d’idéologie sécuritaire proposaient depuis des mois. Alors que l’histoire a montré que les services secrets français sont tout aussi capables de coups tordus que leurs équivalents d’autres pays (fadettes du Monde, écoutes du Canard enchaîné, attentat contre le Rainbow Warrior, assassinat de l’indépendantiste camerounais Félix Moumié, etc.), et que, à juste titre, l’opinion publique française se scandalise régulièrement des révélations concernant les services américains, qui peut croire aujourd’hui la fable sécuritaire selon laquelle cette confiance aveugle ne serait porteuse d’aucun péril ?

L’association Survie, s’associe aux mobilisations collectives exigeant des parlementaires qu’ils rejettent finalement le projet de loi du gouvernement invite donc ses membres et sympathisants à se joindre aux actions pour le rejet de la loi.

Plus d’informations : https://sous-surveillance.fr/#/

[1Celle-ci concerne principalement l’action de la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), de la direction de la protection et de la sécurité de la défense (DPSD), de la direction du renseignement militaire (DRM), rattachées au ministère de la Défense ; de la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI, qui a remplacé depuis 2012 la DCRI, direction centrale du renseignement intérieur, elle-même issue de la fusion partielle en 2008 de la direction de la surveillance du territoire, DST, et des Renseignements Généraux) rattachée au ministère de l’Intérieur ; de la direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED) et de la cellule « traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins » (Tracfin), rattachées au ministère des Finances.

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