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Survie et sa présidente Odile Tobner citées à comparaître pour « injures publiques » !

Publié le 8 janvier 2010 - Survie

Fabien Singaye, conseiller spécial du président centrafricain François Bozizé, ex-espion rwandais expulsé de Suisse, cite à comparaître Survie et sa présidente pour « injures publiques » !

Au mois de septembre 2009, Billets d’Afrique publiait une interview de Jean-François Dupaquier, journaliste et expert-témoin auprès du Tribunal Pénal International pour le Rwanda, titrée « Génocide des Tutsi rwandais – L’attentat du 6 avril 1994 ? Une manipulation de A à Z ».

Il est question dans cet article de l’enquête à charge du juge anti-terroriste français Jean-Louis Bruguière qui accuse le Front patriotique rwandais (FPR, actuellement au pouvoir) d’être l’auteur de l’attentat qui déclencha en avril 1994 le génocide des Tutsi du Rwanda.

Voici le passage incriminé :

Billets d’Afrique : Vous pensez que l’équipe de Jean-Louis Bruguière pourrait avoir été intoxiquée par les détenus d’Arusha, autrement dit les « grands génocidaires » ?

Jean-François Dupaquier : Franchement, oui. Il suffit d’observer une autre anomalie, énorme : le choix par Jean-Louis Bruguière, comme son interprète, de Fabien Singaye, un ancien espion rwandais connu pour sa XXXX [expression incriminée, qualifiée par F. Singaye d’injures publiques, où il est question de son sentiment à l’endroit des Tutsi] des Tutsi. Jusqu’au génocide, sous couvert d’un modeste poste de second secrétaire d’ambassade à Berne (Suisse), Fabien Singaye multipliait les rapports sur l’opposition démocratique rwandaise en exil. L’une de ses marottes était de dénoncer les diplomates et militaires rwandais qui avaient discrètement épousé des Tutsies, ce qui, évidemment, les discréditait aux yeux du régime. Après la découverte de ces rapports à l’ambassade et d’autres irrégularités, Fabien Singaye a été expulsé de Suisse à l’été 1994. Il est vrai qu’on l’accusait aussi d’avoir tenté de faire passer frauduleusement en Suisse son beau-père, Félicien Kabuga, le financier du génocide et de la RTLM, un des hommes les plus recherchés aujourd’hui encore par la justice avec Ousama Ben Laden, et avec la même prime pour sa capture : 25 millions de dollars. Fabien Singaye a-t-il influencé l’enquête du juge Bruguière ? Il est légitime de se poser la question. Dans la plupart des États de droit, le choix comme interprète d’un individu aussi controversé suffirait à faire invalider l’ensemble de l’instruction. (…)

Commentaires

M. Singaye, à l’honneur endolori, ne conteste aucun des arguments de fond. Il ne conteste rien des faits présentés dans cette interview. Pas même ses rapports en Suisse dont Survie a copie.

Fabien Singaye est très actif sur la Toile depuis quelques mois, traquant chaque article le mentionnant : droit de réponse au journal belge Le Soir, à Charlie Hebdo et à Jeune Afrique, sans jamais contester les faits.

Pour Survie et le Nouvel Obs, c’est la voie judiciaire qu’a choisi F. Singaye, essuyant d’ailleurs une première défaite puisque le Nouvel Obs a été relaxé de l’accusation de diffamation publique pour un article autrement plus explicite.

Pour notre part, nous avons droit à un procès pour injures publiques. Car Fabien Singaye ne s’est pas aventuré à nous attaquer pour diffamation. Voici pourquoi.

Quelle est la définition juridique de l’injure ?

« Toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l’imputation d’aucun fait est une injure ». C’est pourquoi on ne dispose pas pour se défendre de l’offre de la preuve. Inutile d’expliquer pourquoi on a écrit ce qu’on a écrit puisqu’il s’agit d’une « injure », donc n’imputant aucun fait. Ce qui, en principe, empêche de livrer les éléments qui ont conduit le raisonnement, comme demander, par exemple, à ce que soient produits plusieurs rapports, ceux de Fabien Singaye, sur ses compatriotes tutsi ou celui de l’Assemblée fédérale suisse à la suite duquel il fut expulsé en raison d’activités illégales de renseignement.

Or le passage incriminé dans notre article est manifestement le fruit d’un raisonnement, « activité, exercice de la raison, de la pensée, suite d’arguments, de propositions liés les uns aux autres, en particulier selon des principes logiques, et organisés de manière à aboutir à une conclusion ». Par conséquent, les propos tenus, étayés et de bonne foi, ne peuvent nullement être qualifiés d’« injures ».

Mais les procès en diffamation ou injures publiques ont parfois la particularité de « muter », le plaignant se trouvant sur la défensive devant la solidité et la qualité de l’argumentation de la défense. Le récent procès pour diffamation intenté par le groupe Bolloré à France Inter en est l’illustration. On assiste alors au grand déballage, avec force documents et témoignages, conduisant à donner encore plus de publicité à des faits que l’on voudrait voir cacher sous le tapis.

Déjà en 2001, le trio Denis Sassou Nguesso, Omar Bongo et Idriss Déby avait regretté amèrement d’avoir traîné Survie et son président François-Xavier Verschave devant le tribunal pour offense à chef d’Etat à la suite de la publication de Noir Silence. Le procès s’était soldé par une victoire nette et sans bavure de Survie qui voyait donc ses enquêtes légitimées. Cela avait donné une incroyable publicité à cette Françafrique qui aime tant l’ombre et l’abri des réseaux occultes.

Alors pourquoi donc Fabien Singaye prend-t-il le risque de voir son actualité passée et présente s’étaler au grand jour ? Car l’ex-barbouze rwandaise reconvertie comme « conseiller spécial » du dictateur centrafricain François Bozizé navigue depuis longtemps dans les eaux usées de la Françafrique. De quoi susciter la curiosité journalistique pour un personnage qui fréquente Patrick Balkany, l’émissaire officieux et sulfureux de l’Elysée en Afrique et qui joue les entremetteurs pour Areva. Un concentré de Françafrique qui mérite un coup de projecteur !

Vague de procédures judicaires

A moins que l’activisme judiciaire de Fabien Singaye ne s’inscrive dans une action plus vaste. Interrogation légitime alors que le journaliste Patrick de Saint Exupéry est assigné en diffamation dans plusieurs villes de France par de nombreuses personnalités françaises figurant sur la page de couverture de la réédition de son livre « Complices de l’inavouable, la France au Rwanda » [1].

Le premier de ces procès, intenté par le colonel Jacques Hogard devant la 17e chambre du tribunal correctionnel de Paris, a eu lieu en décembre avec un résultat heureux : la relaxe de Patrick de Saint Exupéry.

On notera, par ailleurs, que cette offensive judiciaire, concertée ou pas, intervient au moment où Paris et Kigali renouent leurs liens diplomatiques. On ne donne donc plus très cher de l’instruction Bruguière qui avait provoquée la rupture, par le Rwanda, de ses relations diplomatiques avec la France.

Un réchauffement qui n’a pas l’heur de plaire à certains officiers français qui continuent d’en appeler les responsables politiques de l’époque à assumer leur responsabilité dans l’engagement de la France au Rwanda en 1994. C’est d’ailleurs le sens de l’interpellation publique du général Lafourcade [2] à l’adresse de Nicolas Sarkozy publiée quelques jours après l’annonce officielle du rapprochement : « (…) la question que l’on peut légitimement se poser est : à quel prix ce rétablissement s’opère-t-il pour les soldats français ? ».

Quoi qu’il en soit, Survie encourt le paiement à Fabien Singaye de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts « en réparation du préjudice moral subi ». Frapper au portefeuille peut s’avérer une stratégie extrêmement dissuasive à l’encontre de tous les journalistes, sites et blogueurs du web. Le procès aura lieu le 9 février, à 13 h 30 à la 17e chambre du tribunal correctionnel de Paris.

Affaire à suivre…..

[1mars 2009, éditions Les arènes

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