Claire Kupper, Michel Luntumbue, Pierre Martinot, Boureïma N. Ouédraogo, Ndongo Samba Sylla, Morgane Wirtz, GRIP, 2017, Bruxelles.
Ce livre collectif publié par le GRIP (Groupe de recherche et d’information sur la paix et la sécurité) traite des nouveaux mouvements sociaux africains portés par la jeunesse, à travers le portrait de quatre mouvements citoyens qui ont émergé dans les années 2010 : Y en a marre (YAM) au Sénégal, le Balai Citoyen au Burkina Faso, Filimbi et LUCHA en République démocratique du Congo. Pour chaque pays, le livre décrit le contexte politique et social préalable à la naissance de ces mouvements puis propose une « radioscopie » de chacun sur la base d’entretiens réalisés avec plusieurs de leurs membres. En introduction, Michel Luntumbue, chargé de recherches au GRIP, explique leurs points communs : « Les nouveaux mouvements sociaux africains ont comme spécificité d’être des mouvements citoyens, dont l’engagement vise l’avènement d’une nouvelle gouvernance, le changement de « direction », sans que les acteurs de ces groupes visent l’exercice du pouvoir politique. Ils ont dans l’ensemble choisi d’agir par des voies non-violentes : sit-in, pétitions, mobilisations pacifiques. Trois traits fondamentaux caractérisent encore ces nouvelles « forces politiques » : leur ancrage urbain, la prédominance des jeunes – du fait de leur surreprésentation dans la pyramide des âges –, et dans une certaine mesure l’appartenance aux nouvelles classes moyennes ».
L’ouvrage est conçu comme un manuel, visant à inspirer d’autres mouvements ou collectifs africains grâce au partage d’expériences sur les moments-clés d’émergence et de construction de ces mouvements, l’organisation interne, la mobilisation externe, l’usage des réseaux sociaux, les alliances, le positionnement par rapport à la classe politique, etc.
Le livre a le mérite de montrer que ces mouvements citoyens, s’ils ont émergé ou se sont renforcés dans la foulée des soulèvements populaires arabes et sont qualifiés de « nouveaux », s’inscrivent néanmoins dans la continuité des luttes de leurs pays respectifs, de l’indépendance (avec les figures de Lumumba, Cabral, puis Sankara) à des périodes plus récentes (mobilisations suite à l’assassinat de Norbert Zongo au Burkina, grèves syndicales et contestation étudiante au Sénégal dans les années 1990 et 2000, tradition de rap engagé).
Plusieurs écueils et défis auxquels doivent faire face ces mouvements sont abordés et l’une des problématiques les plus intéressantes est celle de leur positionnement vis à vis du pouvoir politique. Ils ne cherchent pas à obtenir le pouvoir et savent que leur crédibilité dépend de leur capacité à se distinguer de la classe politique, qui souffre elle d’une crise de légitimité. « Garder ses distances », « s’allier » mais « se préserver », « rester indépendants » : autant d’objectifs communs aux quatre mouvements pour éviter la récupération politique.
Mais comme l’explique Ndongo Sylla, « dans le contexte de combats internes à la classe politique », ce positionnement n’est pas sans « paradoxe » : « Ceci les conduit à jouer davantage un rôle d’arbitre circonstancié de luttes inter-oligarchiques que de législateur – ou du moins d’initiateur de réformes pouvant renforcer la démocratie, au-delà des élections et des alternances politiques ».
Le livre permet donc de découvrir l’histoire de ses mouvements, c’est intéressant de comprendre leur fonctionnement et certaines de leurs problématiques actuelles, mais on reste finalement sur sa fin quant à l’analyse des obstacles auxquels ils sont confrontés et des raisons pour lesquelles ces mouvements de jeunesse peinent à réellement changer la politique (notamment pour le Sénégal et le Burkina-Faso ; ces éléments sont davantage développés dans le cas de la RDC).
Marie Bazin