Survie

Edito - Rupture

(mis en ligne le 1er avril 2003)

L’équipe de faucons qui a dompté les États-Unis, entraîné quelques rares alliés (Blair, Aznar, Berlusconi... ) et des États clients, a déclenché dans la nuit du 19 au 20 mars son putsch contre la légalité internationale existante. Un coup de force mûri et parfaitement conscient, aux conséquences immenses. Le pire est possible : un engrenage conduisant, de haines en représailles, de terrorismes en “guerres préventives”, à une vendetta universelle, une guerre de tous contre tous où les warlords pousseront comme des champignons. Les habitants de l’est de l’ex-Zaïre expérimentent déjà une variante de cet “avenir”.

Mais la dimension étonnante du rejet moral de ce putsch (manifestants par millions, artistes, juristes, philosophes, autorités religieuses, les trois-quarts des nations... ) laisse espérer autre chose. Elle révèle un attachement majoritaire, sur la planète, à la construction d’un État de droit international à partir de la charte des Nations unies.

Certes, ces dernières sont très imparfaites. Mais la Déclaration universelle des droits de l’Homme qu’elles ont promulguée comporte tous les prémisses juridiques d’un changement considérable. L’article 1 notamment (« Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits ») implique tôt ou tard une refondation moins oublieuse du volet économique, social et culturel de cette Déclaration, et du principe de base de la démocratie (« Une personne, une voix ») : l’Europe est sur-représentée, le “Tiers monde” très minoré (sauf le veto chinois).

Et si la majorité des nations, humiliée par ce putsch, réagissait en accouchant d’un tel surcroît de légitimité ? Et si l’ONU, violée dans son intimité par la mise sur écoutes de la quasi totalité des délégations étrangères, décidait d’aller ailleurs se refaire une santé, à bonne distance des hégémonistes ?

Au passage, soulignons un paradoxe : nos lecteurs savent tout ce que nous avons à reprocher à Jacques Chirac, un passif de plusieurs décennies ; mais force est de constater qu’en l’occurrence, il a conduit la France à dire le droit dans l’enceinte des Nations unies. Le même genre de paradoxe a conduit notre pays, en pointe des saboteurs de la Cour pénale internationale, converti in extremis et de mauvaise grâce sous la pression des associations, à se retrouver au cœur de la défense de cette institution cruciale... Ne boudons pas ces voies paradoxales !

Ce n’est pas pour autant qu’ont cessé les manœuvres françafricaines. Nous continuons d’en exposer plusieurs en ces Billets. Mais le séisme intervenu à l’ONU (où la Guinée notamment a dit un « Non » courageux au putsch US) change radicalement le paysage. Le néogaullisme était beaucoup plus atlantiste, la Françafrique plus enrôlée dans la « guerre froide » qu’ils le laissaient paraître. Une propagande anti-américaine superficielle cachait des connivences profondes, terreau de nombreux deals dans le management de l’Afrique. Cette page-là est déchirée. Les probables représailles de Washington viseront sans doute davantage les intérêts français en Afrique que le champagne...

Dès lors, deux configurations sont possibles. Ou bien les pays africains concernés subissent un regain de coups tordus, certains Services français se délectant à faire de la sous-CIA ; mais la France n’a plus vraiment les moyens de ce jeu. Ou bien elle se retrouve contrainte, pour préserver son influence, de conformer ses actes à son discours, de se différencier du rival américain en promouvant des relations franco et euro-africaines fondées sur le droit. Rêvons... observons, pressons.

#GénocideDesTutsis 30 ans déjà
Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 113 - Avril 2003
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