Survie

La Déclaration de Paris

(mis en ligne le 1er juillet 2003)

« Nous, signataires de cet appel, venus du Nord et du Sud, de l’Est et de l’Ouest, nous dénonçons les effets dévastateurs de la grande corruption, avec son corollaire, l’impunité.

L’explosion des marchés ouverts a favorisé des pratiques de prélèvements, de commissions et de rétro-commissions, qui se sont développées de manière inquiétante au point d’envahir des secteurs entiers de l’économie. Les activités les plus sensibles sont l’énergie, les grands travaux, l’armement, l’aéronautique et l’exploitation des ressources minières. Sur ces marchés d’intérêt national, quelques grandes sociétés ont intégré la corruption comme un moyen d’action privilégiée. Ainsi, plusieurs milliers de décisionnaires à travers le monde échappent à tout contrôle. La grande corruption bénéficie de la complicité de banques occidentales. Elle utilise le circuit des sociétés offshore. Elle profite de la soixantaine de territoires ou d’États qui lui servent d’abri.

La grande corruption est une injustice. Elle provoque une ponction de richesses dans les pays du Sud et de l’Est. Elle favorise la constitution de caisses noires ou de rémunérations parallèles à la tête des grandes entreprises. Elle rompt la confiance nécessaire à la vie économique. Parce qu’elle a atteint parfois le cœur du pouvoir, la grande corruption mine les vieilles démocraties occidentales. Elle entrave le développement des pays pauvres et leur liberté politique.

Alors que la globalisation a permis la libre circulation des capitaux, les justices financières restent tenues par des frontières qui n’existent plus pour les délinquants. La souveraineté de certains États bancaires protège, de manière délibérée, l’opacité des flux criminels. Logiquement, les bénéficiaires de la grande corruption ne font rien pour améliorer la situation.

Il convient de tirer les conséquences de cette inégalité devant la loi dont profite la grande corruption. Il est indispensable de rétablir les grands équilibres de nos démocraties. Plutôt que d’espérer une vaine réforme de ces États, il est possible d’inventer de nouvelles règles pour nous-mêmes. À un changement de monde, doit correspondre un changement de règles.

Aussi nous demandons :

  1. Pour faciliter les enquêtes :
     la suspension des immunités diplomatiques, parlementaires et judiciaires le temps des enquêtes financières (le renvoi devant un tribunal restant soumis à un vote sur la levée de l’immunité).
     la suppression des possibilités de recours dilatoires contre la transmissions de preuves aux juridictions étrangères.
     l’interdiction faite aux banques d’ouvrir des filiales ou d’accepter des fonds provenant d’établissements installés dans des pays ou des territoires qui refusent, ou appliquent de manière purement virtuelle, la coopération judiciaire internationale.
     l’obligation faite à tous les systèmes de transferts de fonds ou de valeurs, ainsi qu’aux chambres de compensations internationales d’organiser une traçabilité totale des flux financiers, comportant l’identification précise des bénéficiaires et des donneurs d’ordre, de telle manière qu’en cas d’enquête pénale, les autorités judiciaires puissent remonter l’ensemble des opérations suspectes.
  2. Pour juger effectivement les délinquants :
     l’obligation légale faite aux dirigeants politiquement exposés de justifier de l’origine licite leur fortune. Si celle-ci ne peut être prouvée, elle pourra faire l’objet d’une “confiscation civile”.
     la création d’un crime de “grande corruption”, passible d’une peine similaire à celles prévues contre les atteintes aux intérêts fondamentaux de la nation.
  3. Pour prévenir la grande corruption :
     l’obligation faite aux sociétés cotées de déclarer dans leurs comptes consolidés, pays par pays, les revenus nets (impôts, royalties, dividendes, bonus, etc.), qu’elles payent aux gouvernements et aux sociétés publiques des pays dans lesquels elles opèrent.
     la compétence donnée à la Justice du pays où est établi le siège social des sociétés multinationales lorsqu’une de leurs filiales à l’étranger est suspectée d’un délit de corruption, et que le pays ou est commis le délit ne peut pas, ou ne souhaite pas, poursuivre l’affaire.
     la mise en place d’une veille bancaire autour de dirigeants politiquement exposés et de leur entourage. Par dirigeants politiquement exposés, nous entendons les hommes et les femmes occupant des postes stratégiques au gouvernement, dans la haute administration et à la direction générale des entreprises privées intervenants dans les secteurs “à risque”.
     les portefeuilles de titres et les comptes bancaires, des dirigeants politiquement exposés ainsi que ceux de leurs famille proche, ouverts dans leur pays où à l’étranger, sera soumis à une procédure d’alerte lors de tout mouvement important, avec l’instauration d’une obligation pénale de signalement pour les cadres bancaires et les gestionnaires de titres.

Combattre la grande corruption est un préalable à toute action politique authentique. Nous devons restaurer la confiance dans les élites politiques et économiques. À l’heure de la globalisation, la responsabilité de ceux qui nous dirigent est immense. Elle doit échapper au soupçon, pour permettre l’espoir. »

(Premiers signataires : Lloyd Axworthy, Cherif Bassiouni, Nina Berg, Bernard Bertossa, Francesco Saverio Borelli, David M. Crane, Peter Eigen, Baltazar Garzon, John Githongo, Juan Guzman, Kamal Hossain, Frantisck Janouch, Éva Joly, Pius N’Jawé, Fine Maema, Carlos Morelli, Adolfo Perez Esquivel, Antonio di Pietro, John Charles Polanyi, Yolandia Pulecio, Mary Robinson, Aruna Roy, Wole Soyinka, Philip van Niekerk, African Network of Parlementarians, Global Witness, Sherpa, Survie, Transparency International)

#GénocideDesTutsis 30 ans déjà
Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 116 - Juillet Août 2003
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