Survie

Togo : Déclaration de 8 ONG sur les élections présidentielles au Togo

(mis en ligne le 1er juillet 2003)

Après trente six ans de pouvoir autoritaire marqué par des violations massives des droits de l’Homme et au cours desquelles les assassinats politiques se sont multipliés, le Général Eyadéma vient à nouveau d’être proclamé vainqueur de l’élection présidentielle du 1er juin dernier à l’issue d’un scrutin entaché par d’importantes irrégularités. C’est sans surprise que la Commission électorale nationale indépendante (CENI) a déclaré Gnassingbé Eyadéma vainqueur avec 57 ? des suffrages.

La transparence et l’équité du scrutin avaient pourtant été sérieusement compromises durant les derniers mois qui ont précédé cette échéance, comme cela a déjà été dénoncé par nos organisations le 5 mai 2003. Des manipulations diverses ont été orchestrées à tous les niveaux du processus électoral dans le but d’assurer la victoire au Général Eyadéma.

Dès le mois de février 2003, nos organisations ont recensé de nombreuses arrestations parmi les membres de l’opposition. Certains, comme Marc Palanga et Mazama Takassa, membres du parti d’opposition UFC, sont toujours arbitrairement détenus et subissent des actes de tortures. Durant la campagne présidentielle, les candidats de l’opposition se sont plaints de la multiplication des entraves visant à les empêcher de circuler librement sur toute l’étendue du territoire et d’organiser des réunions politiques.

La campagne dans les médias d’État a été confisquée par le seul parti RPT, au pouvoir, en violation des dispositions du Code électoral togolais prévoyant un libre accès des candidats aux médias publics et un temps d’intervention égal pour tous.

Refusant de cautionner cette mascarade électorale, l’Union européenne et les Nations-unies ont décidé de ne pas envoyer d’observateurs au Togo.

L’une des conséquences directes de ce « coup de force électoral » est la tension perceptible au Togo depuis la proclamation des résultats par la CENI, le 4 juin 2003, faisant craindre la persistance voire l’accentuation des violations des droits de l’Homme.

Le jour du scrutin et après la proclamation des résultats par la CENI, de violents affrontements ont opposé les forces de sécurité aux populations civiles à Lomé et dans les localités de Tsévie, Gbatope et Djagble. L’armée a fait usage de matraques, de gaz lacrymogènes et de balles réelles. Trois personnes ont été tuées tandis que de nombreux blessés graves ont été signalés dans les hôpitaux. On dénombre plusieurs arrestations parmi les manifestants. Les personnes arrêtées seraient détenues dans des commissariats de police où elles sont régulièrement molestées et torturées.

Deux dirigeants de l’UFC, Patrick Lawson et Jean Pierre Fabre, ont été également arrêtés à deux reprises entre mai et juin avant d’être relâchés.

Tous les journalistes indépendants qui ont fait état des irrégularités qui ont entaché le scrutin ont été rappelés à « l’ordre ». D’autres ont été intimidés parce qu’ils ont repris dans leur publication des sources statistiques avancées par l’opposition et qui donneraient perdant le Général Eyadéma. Même les médias étrangers (RFI par exemple) se sont vus refuser l’autorisation d’assurer la couverture médiatique de l’événement. Les défenseurs des droits de l’Homme et des membres de la société civile qui ont voulu superviser le scrutin ont reçu des menaces et font l’objet d’intimidations.

Selon nos informations, des militaires soupçonnés d’avoir voté pour l’opposition ont été mis aux arrêts au lendemain du scrutin. Nous sommes particulièrement préoccupés par les informations persistantes faisant état d’enlèvements et de disparitions de militaires au sein des différentes casernes. Nous craignons que les autorités ne procèdent à une purge comme cela a été le cas en 1993 et 1998.

En outre, des militaires fortement armés sillonnent le pays et commettent des exactions sur les populations. Certaines sources indiquent également la présence de mercenaires étrangers venus renforcer les rangs de l’armée gouvernementale.

D’importants mouvements de populations sont signalés actuellement dans le pays et à proximité des frontières. Plusieurs centaines de personnes ont déjà fui le Togo pour se réfugier au Ghana, au Bénin et au Burkina Faso.

Nous dénonçons la violation par les autorités togolaises de l’article 25 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques garantissant des élections libres et pluralistes.

Dans ce contexte, nous nous étonnons que le Président de la République française ait été le tout premier à envoyer un télégramme de félicitations au Général Eyadéma, sans même attendre l’approbation des résultats par la Cour Constitutionnelle togolaise.

Nous condamnons fermement toutes les formes de recours à la violence, d’arrestations et de détentions arbitraires, de tortures, de menaces et d’intimidation exercées par les autorités togolaises tendant à museler les libertés d’expression, d’opinion et de manifestation. Nous appelons les autorités à se conformer aux dispositions internationales relatives à la protection des droits humains, notamment celles de la Convention contre la torture et du Pacte international relatif aux droits civils et politiques ratifiés par le Togo.

Nous exigeons des autorités togolaises la libération immédiate de tous les prisonniers d’opinion, notamment Marc Palanga, Mazama Takassa, Kabassima Togbare et Agate.
Nos associations lancent un ultime appel à la communauté internationale et en particulier à la France, principale partenaire du Togo, afin qu’elles prennent leur part de responsabilités dans la recherche d’une solution pacifique à la crise que traverse ce pays. Il est nécessaire qu’une pression diplomatique et politique importante soit exercée sur le Général Eyadéma afin qu’il se conforme aux normes démocratiques, de l’Ètat de droit et du respect des droits de l’Homme en général.

Le 13 juin 2003

ONG signataires :
ACAT France (Action des chrétiens pour l’abolition de la torture) ; Agir ensemble pour les droits de l’Homme ; Fédération internationale de l’ACAT (FIACAT) ; Fédération internationale des Ligues des droits de l’Homme (FIDH) ; Franciscans International ; Organisation mondiale contre la torture (OMCT) ; Secours Catholique/ Caritas France ; Survie.

#GénocideDesTutsis 30 ans déjà
Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 116 - Juillet Août 2003
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