Survie

Barbichettes

(mis en ligne le 1er janvier 2004) - François-Xavier Verschave

Le procureur de Pau a avoué "être dans l’incapacité d’indiquer la date d’un éventuel procès" de l’affaire Destrade, dont l’instruction est bouclée (26 tomes, 48 mis en examen), "car le parquet et le tribunal connaissent des problèmes d’effectifs" (Le Monde, 13/12/2003). Pendant ce temps, la justice française trouve le temps d’annuler pour prescription une bonne partie de l’affaire des emplois fictifs de la Mairie de Paris - de quoi réjouir, entre autres Michel Roussin et Jacques Chirac. La doctrine est la même : fermons les yeux sur les dévoiements des ressources humaines et financières en principe affectées au service public, et on n’aura plus les moyens de ce service. Sauf pour absoudre en catimini les tricheurs. Admirable cercle vicieux.

Il n’échappera pas aux connaisseurs que l’affaire Destrade (du nom d’un ancien député PS), un racket de 135 millions de francs sur l’implantation de grandes surfaces commerciales, inquiétait surtout la gauche - via Richard Moatti, proche ami de Lionel Jospin, et un certain Gérard Peybernès, financier du PS, également impliqué dans le partage des rackets milliardaires sur les marchés parisiens et franciliens. Derrière Michel Roussin. À Paris (et ailleurs), la droite et la gauche se tiennent par la barbichette. L’affaire Destrade avait été un temps réactivée fin 2001, durant la campagne présidentielle... Mais la paix des barbichettes est tôt revenue, entre leaders rasés de frais.

Ainsi le PS a attendu le dernier moment, et une pression médiatique insoutenable, pour attaquer Chirac sur la protection de François Pinault dans l’affaire Executive Life. Or il s’agit d’un dossier particulièrement scandaleux (que nous n’avons cessé d’évoquer depuis plusieurs mois) : le chef de l’État a longtemps préféré risquer de perdre des milliards d’euros d’argent public plutôt que de contraindre son ami Pinault à allonger quelques dizaines de millions de dollars d’amendes à la justice californienne.

Pinault a bâti une fortune de plus de dix milliards d’euros à l’ombre des connivences politico-financières chiraquiennes [1] - un système de renvois d’ascenseurs, avec arrêts privilégiés dans les paradis fiscaux.
Comme de coutume, une certaine gauche n’a pas été délaissée. On a pu observer plusieurs migrations entre l’état-major du groupe Pinault et l’écurie Fabius. Lequel, ministre de l’Économie en 2001, a accordé une énorme amnistie fiscale à François Pinault... Gageons que le parti chiraquien et cette gauche si attentive au portefeuille des milliardaires ne chercheront pas de poux aux activités françafricaines de Pinault, dans la distribution et le bois. Ni chez quelque autre groupe françafricain...

Comme il est signalé par ailleurs, même le plus populaire des représentants de cette gauche “responsable”, Bernard Kouchner, a éprouvé le besoin de venir redorer la réputation du pétrolier Total. Les vrais clivages ressortent plus nettement : le refus de la complaisance envers les dictatures et l’argent sale des paradis fiscaux.
Débarqué du Monde, Daniel Schneidermann se fait un plaisir d’expliquer dans Libération (12/12/2003) de quel côté se situe son ancien patron, Jean-Marie Colombani. Le quotidien du soir a mené la propagande de François Pinault en omettant de rappeler que le milliardaire contrôlait indirectement une partie de son capital et avait pour éminent conseiller Alain Minc, président du conseil de surveillance du Monde. Moyennant quoi François Pinault n’était pas coupable de ce dont l’accusaient les magistrats californiens, mais plutôt victime d’un « racket ».

Chirac le protège-t-il ? « Faisons-lui ce crédit, il protège avant tout les intérêts français », dixit Colombani dans son éditorial sur RTL. Ce serait bien la première fois qu’il oublierait le reste !

François-Xavier Verschave

[1Nous restons polis. Libération titre, le 05/12/2003 : Une affaire tout en relations incestueuses.

#GénocideDesTutsis 30 ans déjà
Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 121 - Janvier 2004
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