Survie

Cameroun : Biya joue à cache-cache

(mis en ligne le 1er juillet 2004) - Odile Tobner

Le dictateur camerounais, en pleine régression infantile, n’en finit pas de jouer. Après " pigeon vole ", il nous a fait le coup du " fort, da " que Freud décrit comme le jeu du petit enfant qui se rassure à propos de la disparition de sa mère. Du 4 au 7 juin, la nouvelle de sa mort, qui serait survenue lors d’une intervention chirurgicale à Genève, a couru comme une traînée de poudre ; et puis le mercredi 9 juin, il a joué " coucou me revoilà " : il est ressorti, comme un diable de sa boîte, de son palace de Genève pour effectuer quelques mètres à pied sous les flashes, sur le seuil de son palais à Yaoundé.

On se perd en hypothèses sur les raisons de cette plaisanterie. Était-ce pour doper le chiffre d’affaires de la téléphonie camerounaise et, du même coup, les dividendes des gros bonnets qui y sont intéressés ? C’est possible, mais on ne peut pas refaire le coup tous les mois. Le jeu a cependant été très instructif. Le moins qu’on puisse dire, c’est que les larmes n’ont coulé à flots nulle part. Dans son camp, on a pensé à mettre à l’abri son magot. Et ce ne sont pas les acclamations soigneusement organisées d’une population rameutée pour saluer le revenant qui feront oublier l’absence de cris de désespoir spontané de la même population quelques jours plus tôt. Seul le correspondant de l’AFP fait mine d’être dupe.

Plus sérieusement, on s’est aperçu qu’il existait une impasse institutionnelle en cas de vacance du pouvoir. Selon la Constitution, l’intérim doit alors être exercé par le président d’un Sénat... qui n’a jamais existé au Cameroun. C’est une des facéties d’un Droit constitutionnel local, ficelé à la va-vite sur le modèle français par des sommités de la coopération universitaire et, de toute façon, jamais respecté - un simple trompe-l’œil pour servir de décor à un régime qui repose sur l’arbitraire plus que sur le droit.

Rien n’est plus risible que les bricolages constitutionnels auxquels se livrent épisodiquement les Présidents pour donner un semblant de légitimité à des pouvoirs qui ne peuvent cacher à personne leur nature purement dictatoriale. Avant de disparaître pour un petit tour, Biya avait nommé, par décret du 26 mai, les membres de l’ONEL (Observatoire national des élections), destiné, comme son nom l’indique, à observer les élections et non à les organiser, comme l’opposition crédible demande que ce soit fait par une Commission électorale nationale indépendante. En tous cas l’ONEL, créé en 2001 par les pouvoirs publics pour superviser les scrutins, ne figure toujours pas dans la loi électorale camerounaise. Le Conseil constitutionnel, prévu dans la Constitution de 1996, n’a lui toujours pas été mis sur pied. Mais le Cameroun a un Président, légitimé par ses propres soins et fort du soutien de l’Élysée. N’est-ce pas la seule chose nécessaire en fait d’Institution ? Tout le reste est inutile.

Odile Tobner

#GénocideDesTutsis 30 ans déjà
Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 127 - Juillet Août 2004
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