Vincent Peillon, Les milliards noirs du blanchiment, Hachette Littératures, 2004, 199 p.
Thierry Godefroy et Pierre Lascoumes, Le capitalisme clandestin. L’illusoire régulation des places offshore, 2004, La Découverte, 259 p.
Ces deux livres sur le sujet crucial des paradis fiscaux et judiciaires ont en commun leur pessimisme. Mais, disons-le d’emblée, on a beaucoup plus apprécié le volontarisme militant du premier que le sociologisme désespérant du second, doublé d’une forme de condescendance.
Le député socialiste Vincent Peillon (à l’Assemblée nationale jusqu’en 2002, au Parlement européen depuis 2004) présida sur le sujet une mission d’information parlementaire assez jubilatoire. Il nous en rappelle quelques excursions intempestives (Liechtenstein, Monaco, Luxembourg, la City de Londres… ) qui agitèrent sérieusement ces havres d’impunité de la criminalité financière.
Le député chiraquien Michel Hunault se fit aussitôt l’avocat de ces lupanars. Avec son collègue Arnaud Montebourg, Peillon parvint à organiser en février 2002 une Conférence des parlements de l’Union européenne contre le blanchiment.
Mais tout cela se heurta à l’hostilité d’une partie du gouvernement Jospin, puis à la vague conservatrice qui submergea une majorité de pays de l’UE. Les gouvernements de droite sont évidemment plus proches des milieux économiques, financiers et militaires qui n’entendent pas se priver des moyens d’agir en dehors des lois.
Face à cette coalition d’intérêts, le député rappelle à juste titre que la solution est politique (car ce ne sont pas les remèdes techniques qui manquent) : « Sortir des simples proclamations [… suppose] la structuration d’une opinion publique internationale et d’un espace public mondial capables de peser et de déborder l’inertie et l’hypocrisie des États. » Bien vu !
Les deux auteurs du Capitalisme clandestin décrivent avec force détails le double langage des États en question – c’est l’utilité de leur ouvrage. Mais ils font une guerre dangereuse et finalement cynique à la morale élémentaire.
Brodant sur un thème que Jean de Maillard développe de manière plus subtile, l’interpénétration de l’économie « normale » et de l’économie criminelle (Le marché fait sa loi, Mille et une nuits, 2001, cf. Billets n° 95), ils en viennent à suggérer qu’il n’y a plus de « crime » puisque tout cela est pratiqué par des gens (banquiers, PDG, responsables politiques et autres) qui sont et font la « norme ».
L’entreprise démystificatrice des deux spécialistes vise du même coup ceux qui voudraient lutter contre l’extension et la généralisation de la criminalité économique : ce seraient des naïfs ou des illusionnistes.
Certes une mobilisation civique, comme celle invoquée par Vincent Peillon, est tout sauf gagnée d’avance. Mais, plutôt que de dire que le combat est perdu parce que le crime est de plus en plus pratiqué par les gens « normaux », on peut parier que l’avalanche exponentielle des dégâts provoqués par une dérégulation laxiste va faire prendre conscience, justement, qu’un certain nombre de comportements « normaux » (comme l’oppression et le pillage néocoloniaux) sont en réalité criminels. De fait, mais aussi de droit : le nombre d’instruments juridiques susceptibles de qualifier ces infractions a en réalité beaucoup augmenté.
La bataille va, du coup, se jouer dans les têtes. Nous allons devoir affronter une manipulation orwellienne : on cherchera à nous faire admettre que des crimes caractérisés n’en sont pas, et/ou nous faire enfouir la tête dans le sable.
Par une intimidation et un divertissement multiformes. Godefroy et Lascoumes font l’hypothèse implicite que cette manipulation va gagner, si elle ne l’a pas déjà fait. C’est en cela que leur livre est littéralement désespérant. Mais leur hypothèse n’est pas acquise.