Survie

Pensions sucrées

(mis en ligne le 1er septembre 2004) - Odile Tobner

Le Canard enchaîné, Pensions sucrées, 18/08

« Un Malien de quatre-vingt-quatre ans, ancien adjudant [dans l’armée française], reçoit royalement 39 euros par trimestre quand un Français ayant les mêmes états de service touche 690 euros. […] “La question des retraites est réglée”, a tranché Michèle Alliot-Marie. Pourtant, elles sont toujours entre dix ou vingt fois inférieures pour les anciens combattants africains. “Les pensions correspondent au même pouvoir d’achat”, prétend MAM. »

L’argument de Michèle Alliot-Marie est non seulement de mauvaise foi mais totalement mensonger. Un livre ou un médicament coûte en Afrique une fois et demi le prix français – mais quel besoin de lire ou de se soigner peut avoir un ancien combattant ? Les produits industriels, les automobiles, les machines agricoles, l’électroménager, les engrais, etc. coûtent deux à trois fois le prix français – mais, après avoir guerroyé en Europe, un adjudant doit être rompu à la marche à pied. De plus, si le pouvoir d’achat en Afrique est ce que dit MAM, pourquoi les fonctionnaires français, militaires et civils, officiant en Afrique, sont-ils payés deux à quatre fois plus qu’en France ? Leur donner la même rémunération serait déjà leur faire un énorme cadeau ! (cf. Billets n° 127, D-Day et blanchiment, note 3)

L’iniquité vécue pendant quarante années par les anciens combattants africains de l’armée française n’est qu’un des moindres bénéfices tirés par la France des « indépendances », mais c’est le plus déshonorant et il mérite d’être stigmatisé comme tel. Là où on devrait avoir des compensations aux familles et aux derniers survivants, plus des excuses pour cette longue escroquerie, on n’a que l’escamotage et la désinvolture.

Remarquez, tous les milliards volés aux anciens combattants – qui sait quel usage ils auraient bien pu faire de ce qu’ils avaient si chèrement gagné, comme Ben Bella ? – ont été déversés à foison sur quelques-uns des leurs, le sergent Eyadema, le capitaine Bokassa, et d’autres bons disciples, pour jouer la comédie de l’« indépendance » et garantir le statu quo colonial. Et il n’était guère question à leur sujet de la moralité d’un « niveau de vie » quelconque quand ils amassaient leur gigantesque part du butin. Puisqu’ils laissaient les amis de MAM en prendre une plus grande part encore...

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