Survie

« Résolution » 1656

(mis en ligne le 1er septembre 2004) - Félix Katz

La soumission au Conseil de Sécurité d’un projet de résolution américain
concernant le Darfour est le résultat de la volonté de Colin Powell de faire
pression sur Khartoum. Elle a donné plus de légitimité aux interventions de
Kofi Annan, lui permettant d’arracher des engagements au gouvernement soudanais : désarmer les Jenjawids, assurer la sécurité des réfugiés et lever les
restrictions empêchant les humanitaires d’opérer au Darfour.

La négociation de cette résolution a pris plusieurs semaines. Le Royaume-Uni a été le premier à la co-parrainer. La France était au début réticente : elle craignait d’une part que la menace de sanctions envers le gouvernement soudanais soit contre-productive, et défendait d’autre part son credo selon lequel une solution politique devait être trouvée conjointement au traitement de la crise humanitaire.

Le gouvernement soudanais s’est opposé avec véhémence au projet de
résolution, qu’il a dénoncé par la voix de plusieurs ministres comme un complot
des lobbies juif et noir américains dans le contexte de la présidentielle de
novembre.

Lorsque Downing Street s’est déclaré prêt, sur demande de l’ONU, à
fournir 5 000 hommes pour une opération de maintien de la paix, le Soudan a crié à l’ingérence post-coloniale, faisant un parallèle totalement infondé avec l’Irak occupé et promettant une guérilla à toute force étrangère qui mettrait pied au Darfour. Cette rhétorique récurrente a trouvé une oreille bienveillante lors du sommet exceptionnel de la Ligue Arabe, qui en a repris les principaux arguments – la crise du Darfour est une construction des médias occidentaux, l’implication de Colin Powell signe une nouvelle offensive des croisés contre l’Islam (alors que les victimes au Darfour sont elles aussi musulmanes) –, et exonéré au passage le régime de Khartoum en définissant les Jenjawids comme des éléments isolés et incontrôlables.

Dans sa version finale, la menace explicite de sanction est devenue implicite (par référence à l’article 41 de la Charte onusienne), ce qui rendait le texte acceptable à la plupart des membres du Conseil, à deux abstentions notoires près : la Chine et le Pakistan.

Les points essentiels de la résolution sont les suivants : toutes les parties sont
sommées de respecter le cessez-le-feu signé fin avril, et exhortées à reprendre
des pourparlers de paix ; le gouvernement soudanais doit assurer la
sécurité des réfugiés, c’est-à-dire désarmer les milices Jenjawids ; plus un
embargo sur les ventes d’armes dans la région, et un soutien aux observateurs
militaires mandatés par l’UA dans le cadre de l’accord de cessez-le-feu.

De l’avis de plusieurs commentateurs (dans la presse anglo-saxonne), la résolution 1656 est un pas indispensable, quoique trop timoré, vers le règlement de la crise au Darfour.

Apres quelques gesticulations, le Soudan a solennellement accepté de se
soumettre au mieux aux exigences de la résolution, en indiquant qu’elles étaient inatteignables en 30 jours – délai au-delà duquel le Conseil pourrait décider d’imposer des sanctions au Soudan. Un réel test de la volonté des puissances occidentales de mettre un terme aux atrocités du Darfour sera l’imposition ou non de sanctions à l’expiration du délai – en particulier la plus efficace d’entre elles : l’embargo sur les exportations soudanaises de pétrole.

Mais il y a toutes les raisons d’être pessimiste à ce sujet. Dans le contexte
d’un cours du pétrole exceptionnellement élevé, il est peu probable que les États-Unis alimentent l’anxiété ambiante en limitant la production de brut, même si la contribution du Soudan reste négligeable à l’échelle mondiale. Une résolution sévère aurait peu de chances d’être adoptée en raison de l’obstruction de la Chine, puis de la Russie.

Aucune de ces deux puissances ne sont enthousiastes à l’idée de l’ingérence de la communauté internationale dans une crise « indigène », aussi atroce soit-elle. Dans sa boulimie de matières premières, la Chine n’hésite pas à récupérer les concessions pétrolières jugées éthiquement inexploitables par les majors occidentales ; ainsi la compagnie nationale pétrolière chinoise est fortement implantée au Sud-Soudan, et ne voudra pas laisser sanctionner un allié précieux.

Enfin, il ne faut pas oublier que la Russie, peu de temps avant de signer la résolution, a livré dans la précipitation 7 Mig à l’armée soudanaise...

#GénocideDesTutsis 30 ans déjà
Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 128 - Septembre 2004
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