Le Figaro, Vers une coopération militaire franco-algérienne,
19/07 (Philippe MIGAULT)
« Le déplacement de Michèle Alliot-Marie à Alger, première visite officielle d’un ministre de la Défense français en Algérie depuis l’indépendance, revêt une indiscutable portée politique. Survenant quelques jours seulement après la venue du ministre français des Affaires étrangères, Michel Barnier, précédant de peu la délégation conduite par Nicolas Sarkozy, il démontre que les relations franco-algériennes, qui devraient ouvrir un nouveau chapitre en
2005, avec la conclusion d’un traité d’amitié, s’intensifient.C’est sur le plan militaire que ce rapprochement est le plus
sensible. […] Des accords de défense ont été conclus en 1967 et
1983 mais n’ont pas donné lieu à une vraie collaboration. Aussi
la conclusion d’un accord cadre dans ce domaine, dont Michèle
Alliot-Marie est venue jeter les bases à Alger et qu’elle souhaite
concrétiser dès cet automne, est-il perçu en Algérie comme la
levée d’un des derniers tabous entre la France et son ancienne
colonie. Ce projet, dont les termes restent à définir précisément
mais dont les grandes lignes sont déjà tracées, devrait
comporter trois volets portant sur la formation des troupes
algériennes, la modernisation de leur équipement et la conduite
d’exercices communs.La France accueillera au sein des forces et des écoles
militaires françaises des officiers et sous-officiers algériens.
Ceux-ci y recevront un enseignement leur permettant de
travailler de concert avec les troupes françaises grâce à un
matériel interopérable que Paris pourrait fournir en fonction des
desiderata de l’armée algérienne. Une opportunité pour les
entreprises françaises de défense qui pourrait permettre
l’obtention de marchés substantiels à l’export.Car Alger, jouissant grâce aux prix records des hydrocarbures
d’une trésorerie confortable, est engagé dans un vaste effort de
modernisation de ses forces. Disposant déjà de l’armée la plus
puissante du Maghreb, qui la met à l’abri de toute agression
conventionnelle, elle vient de conclure l’achat à la Russie de 70
avions de combat Mig et Sukhoï. Elle n’a pas un besoin pressant
en matière d’avions de combat, pas plus que de chars ou de
navires. Certes, des entreprises telles Sagem, qui modernise
déjà les chars T 72 de l’armée algérienne, ou comme Thales, qui
pourrait doter les avions de combat russes d’une électronique de
bord plus performante, pourraient obtenir des contrats sur le
segment de la modernisation des matériels.Mais le besoin réel est autre. Les forces armées algériennes
pourraient se doter, dans le cadre de la lutte antiterroriste, de
systèmes facilitant leur traque. Le théâtre d’opérations sur lequel
elles sont engagées, le sud du pays et ses frontières avec la
Mauritanie, le Niger, le Mali et le Tchad, est trop vaste pour que
les mouvements terroristes, tel le Groupe salafiste pour la
prédication et le combat (GSPC), se prennent dans leur nasse.
Des instruments de haute technologie, permettant une sur-
veillance efficace des mouvements aux frontières, pourraient en
conséquence faire l’objet d’une demande de la part d’Alger. Et
les Français ont en la matière un réel savoir-faire.Thales, le spécialiste de l’électronique de défense, dispose
notamment des instruments adéquats. Le groupe négocie
actuellement un contrat, dénommé Miksa, avec l’Arabie
Saoudite. Celle-ci, également confrontée au terrorisme et dont la
superficie est presque équivalente à celle de l’Algérie, souhaite
mettre en place un dispositif de contrôle composé d’un réseau
de télécommunications, d’avions de reconnaissance et d’hélicoptères, associé à des radars permettant de détecter une
intrusion par voie terrestre, aérienne ou maritime sur son
territoire. Cette solution pourrait être adaptée au Maghreb.Au-delà de la France, l’Italie, l’Espagne et le Portugal seraient
également prêts à coopérer militairement avec l’Algérie, le Maroc
et la Tunisie. Coopérant déjà en Méditerranée dans le cadre des
forces terrestres et navales Eurofor et Euromarfor, ces États de
l’UE pourraient mener des manœuvres communes avec leurs
voisins maghrébins. Faisant allusion aux tourments de la relation
franco-algérienne, Michèle Alliot-Marie, qui a rencontré le
président de la République algérienne, Abdelaziz Bouteflika, ses
ministres des Affaires étrangères et de l’Intérieur résume la
situation d’une phrase : “Le moment est venu de tourner la page.
[...] Nous faisons face aux mêmes menaces”, estime-t-elle. »
Certains de nos lecteurs auront peut-être profité de l’été pour lire un
monument d’histoire contemporaine : Françalgérie, crimes et mensonges
d’États, de Lounis Aggoun et Jean-Baptiste Rivoire (La Découverte,
2004 ; cf. Billets n° 126). Une lecture d’autant plus indispensable qu’elle
éclaire les stratégies militaires de manipulation de la terreur qu’on a vues
à l’œuvre au Rwanda et qui ont conduit en 1994 au génocide d’un million
de Tutsi. Au Rwanda, ces stratégies étaient mises en œuvre par des
officiers français héritiers des méthodes expérimentées durant la guerre
d’Algérie. En Algérie, elles ont été déployées depuis une quinzaine
d’années sous la responsabilité d’officiers algériens formés par l’armée
française, avec le possible soutien de conseillers français, s’inspirant en
tout cas des précurseurs Lacheroy, Trinquier, Aussaresses, Léger :
tortures, massacres, mensonges, infiltrations, manipulations jusqu’à la
nausée, et au delà.
Les dirigeants français ont d’une part « succombé » aux pressions du
lobby françalgérien – qui s’enrichit à milliards dans le détournement de la
rente pétrolière, les monopoles d’importation, les contrats juteux laissant
dans la misère une grande majorité de la population – et d’autre part au
chantage terroriste. Il est désormais certain que les services secrets
algériens ont provoqué les attentats de 1995 à Paris (un grand classique
de la terreur d’État, où les vrais terroristes n’ont à la bouche que
l’écrasement du terrorisme). Or ni Chirac, ni Jospin n’ont voulu dénoncer
cette agression caractérisée, infime proportion de ce que la junte
algérienne fait subir à son propre peuple.
Nous disons « la junte » parce que le récent lifting de la hiérarchie
militaire algérienne n’a en rien altéré l’appareil de répression-
manipulation. Le président Bouteflika est là pour couvrir l’impunité d’une
litanie de crimes abominables, inavoués, ainsi que la perpétuation de cet
appareil, qui terrifie les contre-pouvoirs et protège la captation des
pétrodollars contre toute investigation démocratique.
C’est avec ce régime terroriste-là que la France veut nouer un accord de
défense (le plus haut degré de coopération militaire). C’est avec lui que
Thales et compagnie veulent partager les dividendes du pétrole et de la
corruption. La Chiraquie a hâte de redoubler les pompes à rétro-commissions. Bref, il s’agit d’aider l’oligarchie pétro-militaire algérienne, une sécurocratie sadique, à continuer d’écraser son propre peuple pour mieux le dépouiller. En parfaite représentante de l’oligarchie financiaro-militaire française, Michèle Alliot-Marie peut le dire : « Nous faisons face aux mêmes menaces »…
Le peuple français ignore-t-il qu’en renforçant à ce point l’incarcération du peuple algérien, il forge les fers de son propre malheur ?
Laisserons-nous se contracter ce deal mafieux ?