" Le sommet africain de Tripoli a apporté à la fin de ses travaux, dans la nuit de dimanche à lundi, un ferme soutien au gouvernement soudanais menacé de sanctions internationales et affirmé son "rejet de toute intervention étrangère" au Darfour " (AFP, 18/10/2004). Ce sommet réunissait les chefs de la diplomatie de la Libye, du Soudan, de l’Égypte, du Nigeria et du Tchad. Il a " favorablement accueilli la décision du gouvernement soudanais d’augmenter sensiblement le nombre des troupes de l’Union africaine du Darfour et a exhorté tous les pays africains à contribuer à ces troupes ". Des consultations auraient eu lieu avec les États-Unis et l’Union Européenne pour fournir une aide à cette force : les Américains fourniraient les avions nécessaires au transport des troupes et l’UE une aide financière et logistique.
Consécutivement au sommet, le porte-parole de la présidence égyptienne a estimé que la communauté internationale doit " fournir une assistance au Soudan pour l’aider à mettre en application ses engagements [en ce qui concerne le Darfour] au lieu de mettre la pression sur lui et de lui adresser des menaces. " Quant au ministre des Affaires étrangères soudanais, enchanté des résultats de la rencontre, il a déclaré qu’elle " adresse un message à la communauté internationale affirmant que l’Afrique voudrait assumer entièrement ses responsabilités et refusait tout intervention étrangère ".
Sur ce, les États-Unis ont exprimé leur conviction qu’il convient de " maintenir la pression " internationale sur le Soudan pour qu’il fasse cesser la " crise " au Darfour. Le Département d’État estime important que l’Afrique joue un rôle prépondérant pour la régler, mais souligne que les menaces de sanctions contre le Soudan avaient donné " quelques résultats ". Au moment d’achever cette 130ème édition de notre publication, la France n’a encore pas fait part de ses réactions. Notons que le sommet de Tripoli a emprunté (en le musclant) au discours jusqu’ici entendu dans l’enceinte du Conseil de sécurité : aider le Soudan à cesser les atrocités dont Khartoum porte la responsabilité, s’abstenir de menacer ce pays en dépit de ce qu’il fait.
Notons à présent :
– Le 15 octobre, l’Organisation mondiale pour la santé (OMS) a publié une estimation selon laquelle au moins 70 000 personnes sont
mortes dans les camps de réfugiés du Darfour depuis le mois de mars de cette année. Le Directeur des opérations d’urgences le
l’OMS, David Nabarro, a fait appel à une aide financière susceptible d’améliorer les conditions dans lesquelles ces réfugiés vivent (et
meurent). Il a déclaré que " si le sort dramatique de ces personnes au Darfour était aussi important aux yeux de la communauté
internationale qu’il semble, nous aurions espéré plus d’aide ".
– Peu après, la Croix Rouge internationale tire la sonnette d’alarme sur les conséquences du manque de nourriture qui menace tout le
Darfour en raison de l’impossibilité d’y poursuivre une activité agricole.
– L’UNICEF, à la suite d’une mission conduite au Nord-Darfour en septembre, confirme le nombre de villages brûlés, d’adultes tués
sous les yeux de leurs enfants, de femmes et de fillettes violées.
– En date du 19 octobre, le Haut Commissariat pour les réfugiés (HCR) indique que les attaques des milices se poursuivent,
notamment au Darfour ouest.
– Pour rappel : selon l’ONU, " la crise du Darfour " a fait près de 50 000 morts, 1,4 million de déplacés, et 200 000 réfugiés au
Tchad... (d’autres observateurs estiment ce dernier chiffrage sous estimé).
La " communauté internationale " en tant qu’entité chercherait-elle à défausser ses responsabilités sur l’Afrique (dont le cynisme est de même nature que celui qui caractérise le reste du monde) ? Quitte à lui reprocher par la suite, à elle seule, toute mauvaise gestion de la " crise du Darfour " ? Que l’Afrique puisse et doive prendre ses responsabilités, chez elle et au sein du concert des nations, bien entendu. Mais devant les crimes contre l’humanité et les génocides, il n’y a pas d’" étrangers ", ce concert des nations tout entier est concerné. C’est le cas au Darfour. Il ne s’en sortira pas si les sanctions qui s’imposent ne sont pas appliquées aux coupables de sa descente en enfer.
Dernière minute : le porte parole du Quai d’Orsay a déclaré à la presse (21/10/2004) que la France est " favorable au renforcement tant des effectifs que du mandat de la mission de l’Union africaine dans le Darfour " ; que " l’augmentation du nombre d’observateurs militaires permettra d’améliorer la surveillance du respect du cessez-le-feu " ; que, " s’agissant de la protection des civils, nous rappelons qu’elle est en premier lieu de la responsabilité des autorités soudanaises " ; que " nous sommes naturellement préoccupés par les informations faisant état de la poursuite d’exactions dans le Darfour " ; et enfin que, " s’agissant des sanctions pétrolières, la priorité doit être, à ce stade, de nous assurer que les autorités soudanaises poursuivent leur coopération avec la communauté internationale. Nous relevons à cet égard que Khartoum a accepté le renforcement de la mission de l’Union africaine. "
La diplomatie française sait qu’il n’y aura pas de cessez-le-feu tant que la sécurité des civils ne sera pas assurée, elle sait d’expérience que les autorités soudanaises ne rempliront pas ce rôle, et que la " coopération " de Khartoum n’ira pas au delà d’une mise en scène tant qu’elle n’aura pas payé pour ses crimes (voir À fleur de presse). Nous avons compris depuis un moment que les "préoccupations" de cette "diplomatie" ne l’empêchent pas de dormir.
Sharon Courtoux