Survie

EDITO - Vœux 2005 : des ouvertures et un réveil

rédigé le 1er janvier 2005 (mis en ligne le 1er janvier 2005)

Les craquements de plus en plus visibles dans le système françafricain de confiscation des indépendances africaines vont-ils enfin provoquer son effondrement, ou sa disqualification universelle ? On accordera malheureusement peu de probabilité à une autre hypothèse, celle d’une conversion du parrain élyséen de la Françafrique à la nécessité d’une authentique renonciation au lien néocolonial - à la façon dont, en 1962, De Gaulle dut admettre l’indépendance algérienne et la fit ratifier par le peuple français. Trop confit dans l’affairisme, le néogaullisme chiraquien (ou sarkozien) ne paraît pas capable d’entendre l’appel du très modéré président francophone de la Commission de l’Union africaine, Alpha Oumar Konaré (in Le Figaro du 23/11/2004) : « Il faut oublier la Françafrique. [...] Un besoin d’adaptation et même de mutation paraît nécessaire. »

Certes, le mot « oublier » est ambigu : toute une propagande française nous invite à un oubli dissimulateur de la prolongation des logiques criminelles. C’est bien pourquoi le travail de mémoire est si indispensable. Notre Commission d’enquête citoyenne sur l’implication française dans le génocide de 1994 au Rwanda va produire, début 2005, un ensemble de publications, avec en perspective la mise en cause judiciaire de complices français de cette abomination. Il faut continuer à montrer les dégâts inouïs d’une Françafrique méprisante et méprisable, qui favorise encore aujourd’hui les pires dictatures, un pillage sans limites, et reste capable des manipulations les plus sordides. Mais Konaré, lui, ne parle pas de poursuivre
ces pratiques, il parle de « mutation nécessaire ».

Alors, quel sera la première des dictatures françafricaines à devoir céder la place à un pouvoir légitime ? La togolaise ? La tchadienne ? La congolaise ? Ou un régime à la criminalité plus discrète ? On observe une montée sans doute irrépressible du pourcentage de chefs d’État africains incontestablement élus. Et les néocolonies seront de moins en moins supportées par l’opinion dans un contexte de montée en puissance de l’Union africaine (UA). Quel pays francophone va-t-il prendre le relais du Kenya, récemment passé dans le camp des démocraties ?

On observera évidemment avec beaucoup d’attention les progrès (ou reculs) de l’implication de l’UA dans les négociations politiques, financières et commerciales internationales. Et, surtout, dans les crises les plus graves qui meurtrissent le continent : au Soudan, dans les Grands Lacs, en Côte d’Ivoire, etc. On verra notamment si elle fait mieux que les grandes puissances, ce qui revient à placer très bas la première barre.

Dans un autre domaine, transversal mais essentiel, celui de la prolifération des paradis fiscaux et judiciaires (créés et protégés par ces mêmes États dominants), la mobilisation s’organise de manière très encourageante. Non seulement Attac, l’un des moteurs du mouvement altermondialiste, fait à nouveau de la lutte contre ces mondes sans loi une de ses grandes priorités, mais une plate-forme s’est mise en place sur ce thème entre Attac et le principal collectif français des organisations de solidarité internationale, le CRID : les grandes ONG de développement sont désormais convaincues qu’il n’y a pas de remède possible aux situations inacceptables vécues par plus d’un milliard d’être humains si ne sont pas combattus les mécanismes de vol massif de l’argent public. Cette plate-forme, ouverte aussi aux syndicats, va travailler avec le réseau international Tax Justice Network. L’on peut donc espérer d’importants progrès de la conscientisation citoyenne face à des menaces encore très sous-évaluées.

Sur ce thème comme sur d’autres, c’est bien le réveil des citoyens qui est notre vœu le plus cher pour 2005 !

François-Xavier Verschave

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Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 132 - Janvier 2005
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