www.obsac.com, Transition vers le chaos, 31/12/2004 (Etienne Rusamira et Pierre Bigras) :
« L’année 2004 se termine comme elle a commencée : bruits de bottes dans la partie est du pays, avec en arrière plan des manipulations de la part des acteurs politiques et de la société “si vile” installés à Kinshasa.
En ce qui concerne les élections prévues en juin 2005, il y a très peu de chances qu’elles puissent se tenir dans ce contexte de guerre larvée [...]. Il faut dire que la solution aux deux principales causes du conflit congolais ne sortira pas des urnes, et ce, quelle qu’en soit la date choisie. En effet, sans garanties de sécurité physique et juridique pour les minorités ethniques dans l’est du pays, et sans le désarmement des groupes armés rwandais opérant à partir du territoire congolais, il n’y a pas de paix durable possible en RDC.
Quant à l’actuelle transition [...], elle est bien mal partie. Premièrement, les faiblesses et les contradictions qui caractérisent les institutions de la transition ne peuvent pas conduire le pays vers un avenir meilleur. Deuxièmement, le contexte régional et international ne favorise pas une véritable réconciliation nationale au Congo. Plus concrètement, on fonce tout droit vers un mur et le choc frontal risque d’être encore une fois fatal pour la population congolaise.
[...] Il faudrait restructurer les institutions de la transition en cours, et impliquer dans ce processus un acteur important mais qui a été laissé de côté lors des “marchandages” de Pretoria. Ce dernier est maintenant courtisé de tous les côtés par ceux-là mêmes qui avaient contribué à l’évincer : Tshi Tshi [Etienne Tshisekedi] devient soudainement incontournable dans le bourbier actuel. [...] Dans quelques jours un nouveau remaniement ministériel devrait intervenir pour remplacer les six ministres “voleurs”. Reste à savoir si un simple remplacement d’individus va apporter des changements dans un système caractérisé par la corruption et la course effrénée à l’enrichissement personnel. À ce titre, le président Kabila donne un “exemple à suivre” : après seulement trois ans à la tête du pays, il est en train de devenir l’homme le plus riche du Congo (propriétaire de la deuxième compagnie d’avion, de plusieurs propriétés à l’étranger, sans oublier les avoirs qui dorment dans les caisses des paradis fiscaux), comme ce fut le cas avec le feu Mobutu.
D’autres changements importants devraient également intervenir au niveau des médias congolais. Le peuple congolais mérite mieux que le salmigondis haineux que diffuse la majorité de la presse [... qui] berne l’opinion publique congolaise en ce qui concerne les véritables enjeux auxquels est confronté la RDC. »
Depuis le 31/12/2004, rien n’est venu démentir cette appréciation de la situation congolaise. Certes, les agressions rwandaises répétitives comportent elles aussi un arrière-plan de pillage en vue d’un enrichissement collectif et personnel de la nomenklatura de Kigali. Mais cette dimension ne peut se maintenir que parce qu’une partie importante de la classe politique congolaise, mettant le génocide de 1994 entre parenthèses, considère toujours l’antitutsisme le plus abject comme un levier de mobilisation, par médias de la haine interposés - des médias proches du clan Kabila. Dans la même ligne, elle considère avec la France que les milices génocidaires (FDLR) demeurent des alliés convenables dans la Realpolitik des Grands Lacs. Alors que si tout le monde se mettait à couper les vivres aux « nazis tropicaux », le Rwanda n’aurait plus aucun prétexte à sa politique intrusive. Il pourrait s’employer à chercher une autre politique régionale, plus productive.
Sharon Courtoux