Survie

F. Mitterand : Un film sous surveillance

(mis en ligne le 1er mars 2005)

Il n’aura échappé à personne que le dernier film de Robert Guédiguian est consacré à Mitterrand, ou plus exactement aux deux dernières années de sa vie, à partir de 1994. C’est également l’année du génocide au Rwanda. Mitterrand fut le principal artisan du soutien français au régime génocidaire.

Le film s’inspire de deux livres publiés par Georges-Marc Benamou, le « dernier confident ». Il est co-produit par Frank Le Wita et la chaîne Arte. Selon Marseille l’Hebdo, les proches de Mitterrand (Mazarine Pingeot, Roger Hanin, André Rousselet, Michel Charasse, Jack Lang, Pierre Bergé, Hubert Védrine...) se sont relayés pour exercer une pression juridique sur Guédiguian et ses producteurs, surveiller de près l’élaboration du scénario et le tournage du film. « Guédiguian, Le Wita et Benamou choisissent de faire le dos rond », affirme Marseille l’Hebdo du 2 février. « De même, Jérôme Clément [directeur d’Arte] fait passer un message apaisant à la "mitterrandie" : « J’ai été un de ceux qui ont vécu cette période auprès du président, je ne cautionnerais pas un film à charge. » Enfin, en octobre dernier, Michel Bouquet devait glisser dans Le Monde 2 : « Si le film avait été plus polémique, je ne l’aurais pas fait... »

L’image d’Épinal ne sera donc pas écornée. Certes, il ne s’agit pas de retracer la réalité, prévient Guédiguian : « On a dégagé tout le factuel. Pas de gouvernement. Pas de proches. [...] Je n’avais aucune envie de dresser un bilan de Mitterrand. Pour le faire parler dans le film, j’ai gardé ce qui me plaisait dans ce qu’il dit dans les deux livres de Benamou [...]. J’avoue l’avoir tordu à gauche. » (interview à Marseille l’Hebdo du 02/02/2005). Un projet artistique peut avoir ses règles qui échappent au souci du réalisme historique, mais est-ce une raison pour se justifier par des propos qui flirtent avec le négationnisme : « Mitterrand vient d’une famille de la bourgeoisie provinciale où l’on n’était pas antisémite. Il a été de droite. Il a traînassé deux ans à Vichy. On sait tout ça depuis longtemps. » Rappelons qu’en 1941, Mitterrand rejoint la Légion des combattants et des volontaires de la révolution nationale, créée par l’avocat de la Cagoule Xavier Vallat. Il entre au service de la documentation de la Légion qui est chargé de centraliser les délations à l’encontre des juifs, des communistes et des résistants pour Vichy et la police allemande. Un drôle d’endroit pour traînasser... En décembre 1943, il reçoit la francisque. En 1945, il est PDG des Éditions du Rond Point, appartenant à L’Oréal (l’entreprise du fondateur de la Cagoule, Eugène Schueller). Il sera réhabilité par le père d’Hubert Védrine. Et, pour revenir à la fin de la vie de Mitterrand, quelle pertinence peut avoir un portrait psychologique qui escamote l’implication majeure du personnage dans le génocide des Tutsi rwandais - avant, pendant et après le génocide ?

« Il me fait plutôt penser à un libertin du 18ème siècle, explique Guédiguian. “Viens me chercher”, lance-t-il à la mort. “Je resterai debout !” Il a voulu devenir un spécialiste de la mort. » Un propos qui résonne étrangement à nos oreilles... « Le Mitterrand qu’on leur propose ne leur conviendra sans doute pas, anticipe Gilles Taurand, co-scénariste du film, dans Télérama du 9 février. Mais personne ne peut être le dépositaire d’une quelconque vérité sur l’autre. C’est une construction, la vérité. » Le mensonge aussi...

Victor Sègre

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