Survie

Togo : La Françafrique soutient Faure très fort pour les présidentielles au Togo

(mis en ligne le 1er avril 2005) - Comi Toulabor

S’il ne tenait qu’à la Françafrique où l’on trouve incongrues des élections transparentes, Faure Gnassingbé (ou Baby Gnass) serait proclamé président du Togo lors des présidentielles du 24 avril prochain. Il représente à ses yeux le bon cheval à placer « gagnant », comme son père le fut trente-huit ans durant de pouvoir sans partage. La tête pensante de la Françafrique, Jacques Chirac, et sa cour savent que ces élections ne sont pas gagnées d’avance et qu’il serait extrêmement difficile de les piper comme en 1998 et 2003 sans faire imploser un pays déjà exsangue qui n’a d’autres ressources probantes à vendre que sa stabilité tonton-macoutisée. Depuis la crise ivoirienne, ne sert-il pas de base-arrière sécurisée à une France en train d’être chassée du pays-vitrine-de-la-France-en-Afrique ?

La machine à frauder se met progressivement en place, utilisant les vieilles recettes éprouvées : précipiter la date du scrutin (ce qui est fait, mais reste à la tenir) ; tripatouiller tout le processus électoral : découpage, listes, cartes, bourrage des urnes, vote des morts et des bêtes sauvages, falsification des procès-verbaux, inversion des résultats, etc. Des vassaux françafricains voisins tels que Blaise Compaoré du Burkina Faso, Mathieu Kérékou du Bénin et John Kufuor du Ghana, qui fait des pieds et des mains pour rentrer dans le club françafricain, sont caressés dans le sens du poil pour fournir des contingents d’électeurs ambulants le jour du scrutin. Ce trio de trissotins s’était déjà signalé par son silence abyssal lors du coup d’État militaire du 5 février qui catapulta Baby Gnass dans le fauteuil tout chaud de son père. Mieux, John Kufuor envoya son ambassadeur à la prestation de serment du fiston, le Caméléon béninois se fit le cerbère de Fambaré Natchaba, président de l’Assemblée nationale, à qui revenait constitutionnellement le pouvoir intérimaire, tandis que le beau Blaise du Faso n’hésita pas à dénoncer les sanctions prises le 19 février par la CEDEAO (Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest) pour contraindre Baby Gnass à la démission.

Ce n’est pas un hasard si la CEDEAO se précipita pour suspendre les sanctions qu’elle venait à peine de prendre, estimant la démission de Baby Gnass suffisante. C’est ici que la fraternité maçonnique (notamment dans sa branche la plus affairiste et mafieuse, la Grande Loge Nationale Française - GLNF - qui cherche à évincer le Grand Orient de France en Afrique et à laquelle émargent la plupart des dirigeants françafricains de la CEDEAO), est actionnée pour que le « frère » Baby Gnass l’emporte le 24 avril. Le « Monsieur Afrique » de la GLNF mobilise comme un beau diable ses troupes sur le terrain, car est en jeu le sort du produit des trafics d’armement, de la drogue, des diamants du sang, du PMU, des valises de billets CFA baladeuses entre les caisses des partis politiques français et les paradis fiscaux. Et le grand Faure est bien placé pour connaître tous les arcanes de ce trafic.

Le majordome de la Françafrique, Jacques Chirac, supervise du haut de sa myopie toutes ces manœuvres de la crise successorale avec son « Monsieur Afrique principal  », de Bonnecorse de la bonne graine, et son «  Monsieur Afrique adjoint », Xavier Darcos, ministre de la Coopération. Des coups de fil, des fax, des messages électroniques sont échangés de part et d’autre pour peaufiner l’issue du 24 avril.

La fragilité militaro-sécuritaire de Baby Gnass, qui a le tort de ne pas être un militaire, est-elle son tendon d’Achille ? Le lieutenant-colonel Benoît, responsable de la DGSE (Direction générale des services extérieurs) à l’ambassade de France à Lomé, est chargé de débaucher à coups de milliards de francs CFA à Ouagadougou, où il s’est réfugié après sa disgrâce, l’ancien chef d’état-major de l’armée de terre, le lieutenant-colonel Kouma Biténiwé. Celui-ci a été la cheville ouvrière de la terreur et de la violence extrême que le Togo a connues dans les années 1990, qui ont permis au général Eyadéma de retrouver la plénitude des pouvoirs dont la Conférence nationale l’avait dépouillé en août 1991. Craint et respecté au sein d’une armée monoethnique, mais parcourue de vents et de courants contraires, il est l’un des rares officiers supérieurs à rallier encore les suffrages des hommes de rang livrés à eux-mêmes dont il aimait défendre les intérêts corporatistes légitimes. Sa capacité de nuisance étant pour cela énorme, il convient le neutraliser en le mettant au service du fils de son ancien patron. Mais le Kouma Biténiwé fait pour le moment de la résistance, au grand désespoir de la Françafrique. Il a le culot de demander l’amnistie pour lui-même et pour ses hommes, déserteurs ou embastillés depuis des lustres pour « tentative de coup d’État ».

Dans la plus grande discrétion, le majordome de la Françafrique a reçu trois des généraux putschistes togolais à l’Élysée afin qu’ils se préparent à faire leur « boulot » une fois les résultats proclamés, étant entendu que le parrain se débrouillera pour apporter sa caution anticipée aux résultats du scrutin. La visite de Baby Gnass est programmée à Paris dans les semaines à venir où des publi-reportages et des encarts dans les journaux bien ficelés attendent de lui être consacrés. Malgré sa démission, c’est Baby Gnass qui est le président de fait du Togo, reléguant à la cave le président intérimaire, Abass Bonfoh. À Libreville, à Tripoli, à Ouagadougou, à Cotonou, etc. les honneurs dus un chef d’État lui sont rendus.

Dans le même temps, l’on assiste au retour au bercail d’exilés forcés ou volontaires, la plupart du temps d’anciens militaires décidés à se mettre au service de Faure considéré comme le futur « Homme fort » du Togo. La Françafrique est décidée à passer en force pour imposer Faure, même au prix de massacres si cela est nécessaire, en espérant que la « communauté internationale » ne bronchera pas trop pour quelques têtes de nègres, tués pour maintenir « la paix, l’ordre et la sécurité » dans ce petit pays où ne se joue point le sort de l’humanité. Quelques organisations humanitaires et associations de défense des droits de l’Homme crieront au scandale, mais leurs voix ne pèseront pas plus lourd que celle de la Françafrique éternelle qui a accumulé beaucoup de savoir-faire en la matière.

Celle-ci commence pourtant à avoir de sérieux doutes depuis que l’opposition a sorti de son chapeau son candidat unique, d’autant que le clan au pouvoir est loin d’être soudé : une partie de l’armée traîne les pieds à suivre le fiston en attendant la nuit des longs couteaux, la famille est à hue et à dia autour du coffre-fort familial : les ayants-droit, aussi nombreux que les étoiles dans le ciel (les demi-frères, les demi-sœurs, les belles-mères, les belles-sœurs, les cousins-cousines, les oncles-tantes, les collatéraux-collatérales connus-inconnus, etc.) veulent se partager le butin avant les élections. Se regardant en chiens de faïence, ils ne veulent pas que Faure confonde sa part avec la leur dans le gouffre d’une campagne électorale dont l’issue n’est pas rassurante.

Peut-être le parrain de la Françafrique sera-t-il obligé d’intervenir dans cette haute politique distributive où sa part risque d’être siphonnée par des rapaces incontrôlés ? Mais avec lui il faut s’attendre à tout, même à la sottise cynique aussi énorme que le ciel qui vous laisse bouche bée.

#GénocideDesTutsis 30 ans déjà
Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 135 - Avril 2005
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